Flatter l’art de vivre des uns en maltraitant et déshumanisant les autres, c’est ce que raconte l’histoire du café au XVIIIe siècle. À l’époque, il devient un breuvage à la mode et attise les intérêts des différentes compagnies des Indes (française, néerlandaise, britannique…) qui géraient le commerce entre une métropole européenne et ses colonies.
La compagnie française des Indes orientales, basée à Lorient, n’est pas en reste. Alors qu’elle a établi un comptoir sur l’île Bourbon, elle fait le choix d’écarter le café naturel existant sur place et d’implanter du moka dans les années 1710.
Elle "impose la culture des caféières [plantations de café, NDLR] à l’ensemble des habitants, elle confie des arpents de terre aux colons et elle s’engage à acheter à prix fixe le café", explique Brigitte Nicolas, directrice du musée de la Compagnie des Indes de Port-Louis et commissaire de l’exposition.
La population double en 50 ans
Sauf que sur l’île (ci-dessus en 1763), tout est à faire pour défricher, créer les infrastructures, planter, et récolter. La Compagnie des Indes organise donc la traite d’esclaves qui sont emmenés de force du Mozambique, de Madagascar ou encore d’Afrique de l’Ouest vers les Mascareignes (La Réunion, l’île Maurice et Rodrigues), où ils sont vendus aux colons.
Très rapidement, le nombre d’habitants double : "Quand on analyse l’évolution de la population sur l’île, ils étaient 700 en 1700, et 15.000 en 1750, dont 80% d’esclaves" employés pour la plupart dans les 580 exploitations caféières, détaille la directrice.
Une exploitation visible sous forme de maquette (ci-dessous) et réalisée avec l’aide du musée Léon-Dierx de Saint-Denis de La Réunion : "On a voulu faire en sorte que tout soit juste."
"Le règne de la terreur"
Quant aux colons ou natifs, bien que libres, ils sont contraints par la Compagnie des Indes à cultiver le café. "C’est un peu le règne de la terreur, pour éviter que la population ne s’enfuie, il y a un règlement inspiré du Code noir qui est assez terrible et qui impose la peine de mort à ceux qui s’enfuient par trois fois."
"On ne peut pas échapper à ce destin funeste, qu’on soit colon ou pire, esclave, insiste Brigitte Nicolas. Il n’y a qu’à la Réunion que cela se passe de la sorte."
Bien documenté grâce aux échanges avec les archives de l’île, l’ancien conservateur du musée des arts décoratifs de l’Océan Indien et beaucoup de données en ligne, le musée de Port-Louis a choisi de faire un film d’animation qui raconte le parcours d’Eva, une Malgache soumise à l’esclavage pour travailler dans les plantations de café en 1734, "pour incarner cette histoire sans avoir un discours trop académique".
Si la femme ainsi que la plantation sont fictives, "les chiffres sont vrais", insiste la commissaire de l’exposition qui a pu lire le journal de bord d’un vaisseau qui transportait des esclaves, la Vierge de Grâce.
"On est parti de ce journal pour raconter cette histoire. Cela nous permettait de montrer les conditions de vie des esclaves, détaille Brigitte Nicolas. Ce qui était important pour moi, c'était de montrer que les esclaves n’étaient pas d’accord avec leurs conditions et que le moyen de retrouver leur liberté, c’était le marronnage."
La mort pour du café
Face à ce film et cette maquette illustrant le thème de l’esclavage et de la traite humaine, on trouve 365 tasses chinoises et autres ustensiles asiatiques, visibles notamment sur l'affiche de l'exposition.
C’est une volonté de la conservatrice pour montrer la qualité du travail autour de ces porcelaines mais aussi et surtout une façon de signifier "l’aberration de ce système de fonctionnement esclavagiste."
"Cela permet de montrer à quel point cette organisation qui a mis en souffrance et causé la mort de millions de personnes a fait cela pour un besoin extrêmement futile qu’est le café", explique Brigitte Nicolas.
Face à la concurrence des Antilles dès 1730, cette culture a été peu à peu remplacée par celle du sucre, puis fragilisée au fil des décennies avec des épidémies de champignons au début du XIXe.
En tout, 130.000 à 200.000 hommes et femmes furent conduites de force dans les îles des Mascareignes pour y être réduites en esclavage jusqu’à son abolition en 1848.