La Martinique va-t-elle intégrer la liste du patrimoine mondial de l'Unesco ce mois-ci ? "On est assez confiant", souffle à Outre-mer la 1ère Gabrielle Mauvois, la responsable du dossier au sein du Parc naturel régional de l'île (PNRM). Avec toute une délégation française, elle sera à Riyad, la capitale de l'Arabie Saoudite, où se réunit le Comité du patrimoine mondial du 10 au 25 septembre, pour défendre la candidature des volcans et forêts de la Montagne Pelée et des pitons du nord de la Martinique au patrimoine mondial de l'Unesco. Le dossier doit être examiné le 17 septembre.
Pourtant, l'optimisme des porteurs de ce vaste projet lancé en 2014 a été quelque peu ébranlé à la lecture du rapport de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une organisation consultative de l'Unesco chargée d'évaluer scientifiquement les candidatures. Dans un document mis en ligne début 2023, mais daté d'avril 2022 – la candidature de la Martinique devait être étudiée fin 2022, mais la session de l'Unesco qui devait se tenir en Russie a été annulée à cause de la guerre en Ukraine –, les experts de l'UICN relèvent de nombreuses lacunes dans le dossier martiniquais.
Différer l'inscription sur la liste
Pour eux, il ne fait aucun doute que les volcans et les forêts de la Montagne Pelée et des pitons du nord de l'île de la Caraïbe disposent d'une valeur universelle exceptionnelle, une "VUE" dans le jargon onusien, qui justifie pleinement leur inscription au patrimoine mondial. Mais ils jugent que la délimitation du bien candidat et les mesures de protection de ce joyau naturel pourraient être renforcées. Ils recommandent alors au Comité de l'Unesco de différer l'inscription de la Martinique sur la liste du patrimoine mondial, le temps de refaire un dossier de candidature plus solide.
En Martinique, on s'attendait à cet avis mitigé. Mais la pilule est quand même dure à avaler. "Nous avions fait un débrief avec les experts [de l'UICN] lorsqu'ils sont venus. Nous avions un peu connaissance de la teneur de leurs positions", raconte Maurice Veilleur, qui a longtemps été le directeur en charge du dossier de candidature et qui est désormais directeur de cabinet de la maire de Ducos. "Nous nous sommes beaucoup investis", insiste-t-il. Mais comment un dossier sur un sujet si primordial et ayant impliqué de nombreux acteurs locaux et nationaux a-t-il pu être retoqué par les experts ? "Les étapes nationales [de la candidature] ont été validées", souligne Maurice Veilleur.
Pour l'UICN, plusieurs espaces d'intérêt géologique sont situés dans une zone tampon autour de la Montagne Pelée et des pitons du Carbet. Or, ils mériteraient d'être inscrits sur la liste du patrimoine mondial, au même titre que les grands massifs martiniquais, pensent les experts. Ce que réfute Gabrielle Mauvois, chargée de la mission Unesco au Parc naturel régional de Martinique : "Ces géosites sont tout à fait excentrés par rapport au périmètre qui est initialement prévu et où la 'VUE' ne s'applique pas." Rajouter ces espaces ne "serait pas logique d'un point de vue de la continuité et de la gestion de l'intégrité", argumente-t-elle. Pour rassurer les membres du Comité du patrimoine mondial qui devront se prononcer sur la candidature martiniquaise, Gabrielle Mauvois souligne "que dans notre plan de gestion (...), il est prévu de mettre en place des systèmes de protection sur ces géosites (...) pour qu'on puisse justement les conserver et qu'ils puissent être valorisés dans le cadre de la candidature".
Autre argument avancé par les experts de l'UICN : "le régime de protection n’est pas adéquat et ne suffit pas pour garantir la protection et la gestion efficaces de [la] biodiversité, et doit être consolidé pour dispenser un niveau de protection plus rigoureux et cohérent". L'instance internationale préconise de centraliser la gestion du bien. Or, rappelle Gabrielle Mauvois, en France, "ce n'est pas une seule entité qui s'occupe à la fois de botanique, de volcanologie, de faune et de flore".
Nous avons une gestion qui est mutualisée et multipartenarielle. Elle fait appel aux meilleurs experts du territoire en mobilisant toutes les compétences qui existent : le Parc naturel régional d'une part, mais aussi l'Office national des forêts et le Conservatoire botanique.
Gabrielle Mauvois, responsable au Parc naturel régional de Martinique, chargée de la candidature au patrimoine mondial de l'Unesco
Le Comité du patrimoine mondial tranchera
Les défenseurs de l'inscription de la Montagne Pelée et des pitons du nord de la Martinique ont préparé tout un argumentaire à présenter aux 21 pays membres du Comité du patrimoine mondial pour répondre point par point aux réserves émises par les experts de l'UICN. De son côté, le ministère de la Transition écologique, en charge de la candidature à l'échelle gouvernementale, indique que "des projets sont en cours pour renforcer la protection des sites géologiques majeurs et étendre la protection des forêts des pitons du Carbet" pour que le dossier soit accepté à l'Unesco.
Déjà, dans sa préparation du sommet de Riyad, qui commence dimanche, le secrétariat du Comité du patrimoine mondial a suggéré de suivre l'avis des experts de l'UICN et de remettre l'inscription des sites martiniquais à plus tard, le temps de renforcer le dossier. Mais, petite pointe d'espoir pour la délégation française : au sein de l'Unesco, on rappelle que le Comité du patrimoine mondial est souverain, et qu'il est le seul à décider d'une inscription, ou non, d'un site sur sa liste. À Riyad, les états pourront donc discuter du cas martiniquais, entendre les arguments de la délégation française et décider, par un amendement, de finalement inscrire les volcans et forêts de la Montagne Pelée et les pitons du Carbet sur la liste du patrimoine mondial. "Évidemment qu'on sera déçu [si l'inscription devait être différée]", avance Gabrielle Mauvois. "Mais comme ça n'arrivera pas, la question ne se pose pas", rit-elle.