L’ode à Baudelaire de l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau

Le romancier et essayiste martiniquais Patrick Chamoiseau
Dans "Baudelaire Jazz", livre accompagné d’un album numérique éponyme réalisé par le saxophoniste Raphaël Imbert, Patrick Chamoiseau signe une "Partition pour chaos opéra", comme il le dit lui-même, où sont étudiés les poèmes de Baudelaire à la lumière de ce que fut l’histoire douloureuse des Antilles.

"Charles Baudelaire, je pense à vous, méditatif", écrit Patrick Chamoiseau à la première page de son ouvrage. Et comme à son habitude, cette méditation, "fille de l’ombre et de la lumière", va conduire le lecteur dans de multiples territoires. De la cale du bateau négrier à la plantation esclavagiste d’abord, où les ancêtres firent musique (rythmes, chants et danses), qui culmina dans la parole du conteur créole. "En retrouvant ainsi le Verbe fondateur des vieilles cosmogonies, ils se sont réinstallés dans leur humanité", écrit le romancier martiniquais.  

Une humanité créatrice en écho à la rythmique, au mouvement et aux sonorités de la poésie de Baudelaire. "Vous saviez, comme eux, que le rythme ouvre à la sensation, qu’un ensemble de sensations engendre une résonance, qu’un lot de résonances élabore un mouvement de l’esprit", poursuit Chamoiseau. Et puis, en autres parallèles, il y a la drive, ou le voyage créole qui "ignore même le chemin". "Pour nos ancêtres, comme pour vous, la création commence par un navire. Le vôtre fut un paquebot en direction des Indes". Mais au bannissement imposé à Baudelaire, source d’un gouffre intérieur, s’oppose la terrible réalité imposée aux victimes de l’esclavage.  

Ces sinistres navires furent des fourriers de crimes, de génocides, mêlés à bien des surgissements encore indéchiffrables. Ils ouvrirent, dans les abysses, entre les Afrique anciennes, les Amériques nouvelles, un continent étrange, hors base géologique, Atlantique sans lumière, une béance encore bien méconnue, nécropole de millions d’Africains !

Patrick Chamoiseau

Après la traversée, Patrick Chamoiseau poursuit son périple dans l’enfer de la plantation et de l’en-ville. Mais de l’horreur naît la création, encore, qui réhumanise. Toujours. Pour l’écrivain martiniquais, la "cavalcade de sons, de résonances, de mouvements, de cassures" des textes de Baudelaire "relèvent d’un surgissement analogue à ce qui se produisit durant la nuit esclavagiste".  

Méditations à Charles Baudelaire : Patrick Chamoiseau et Raphaël Imbert au Musée d'Orsay ©Musée d'Orsay

 

De ces rythmiques inventives et de résistance à la domination naîtra une multiplicité de musiques – blues, gospel, bèlè, gwoka, biguine, reggae, konpa, salsa… - et bien sûr "toute la galaxie inépuisable du jazz" auquel Chamoiseau rattache Baudelaire. "Vous avez diffusé dans leur ankylose même la violence océanique de la vision, le vrac sauvage du tout-possible, le sac et le ressac de la polyrythmie", déclare le romancier antillais, citant longuement le poème "La musique" de l’auteur des "Fleurs du mal". "Monsieur Baudelaire, vous avez fait jazz !"   

"Baudelaire Jazz. Méditations poétiques et musicales avec Raphaël Imbert", par Patrick Chamoiseau – éditions du Seuil, 190 pages, 17 euros. (Un QR code se trouve à l’intérieur du livre pour écouter l’album numérique de Raphaël Imbert).