La biodiversité en péril [Planète Outre-mer]

Les animaux sont dépendants de leur habitat. Un corail et ses poissons en Polynésie Française ; Des lémuriens dans un jaquier à Mayotte
Le rapport de l'IPBES rendu public le 6 mai 2019 annonce 1 million d'espèces en danger d'extinction, des territoires qui se dégradent et des inégalités qui se creusent. Il met en avant le rôle essentiel des peuples autochtones et propose des solutions pour éviter des conflits. 
L’érosion de la biodiversité, que cela soit à l’échelle locale ou mondiale, constitue l’une des principales menaces auxquelles est confrontée l’humanité. Le rapport de l’IPBES réalise une projection fine de la situation de notre biodiversité. Ce rapport qui a demandé trois ans de travail par plusieurs centaines de scientifiques révèle qu’un million d’espèces animales et végétales risquent de disparaître. La moitié pourrait être d’ores et déjà considérée comme "des espèces mortes ambulantes" si leur habitat n’est pas restauré. Une extinction qui nous met, nous humains, directement en danger car nous dépendons de la nature pour vivre. Telle est l’alerte lancée lundi 6 mai à Paris par la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystèmiques, l’IPBES.

Cette organisation onusienne, souvent appelée "le GIEC de la biodiversité" a remis officiellement le 6 mai 2019 un résumé de son rapport à 110 pays. 30 pages à l'adresse des gouvernements et des décideurs qui synthétisent les 1800 pages du rapport complet.

Vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas.
- Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco

 

Les causes de la perte de biodiversité hiérarchisées par le rapport

Ce rapport scientifique hiérarchise les causes de la perte de biodiversité, toutes imputables à l’homme. En tête (30%) la destruction des habitats des espèces animales et végétales avec la déforestation au profit de l’agriculture, de l’élevage, de l’urbanisme ou des exploitations minières.

En deuxième position (23%) l’exploitation ou plutôt la surexploitation des ressources naturelles avec la chasse, la pêche et la coupe de bois. En troisième position (14%), à égalité, le changement climatique et les pollutions des sols, de l’air et des mers en particulier par les pesticides, les déchets industriels (métaux lourds, solvants, boues toxiques) et les plastiques (206 kg de plastiques arrivent chaque seconde dans l’océan, nous apprend la très belle exposition "Océan" à la Grande Galerie de l’Evolution à Paris).
A Kélonia, à La Réunion, les tortues sont soignées (photo de gauche). Quand les tortues meurent, le contenu de leur estomac est conservé dans des boîtes datées et identifiées au nom de chaque tortue. On y trouve du plastique en grande quantité (photo de droite).

Et enfin (11%) les espèces invasives favorisent la perte de la biodiversité, une menace particulièrement prégnante dans les espaces insulaires. En Outre-mer, 60 des 100 espèces exotiques envahissantes les plus néfastes au monde sont présentes (le rat, le chat haret c’est-à-dire le chat revenu à l’état sauvage etc.)
 

Sans la biodiversité, l’homme ne pourra pas survivre

La biodiversité rend à l’humanité des "services écosystémiques". Les océans nous fournissent la moitié de notre oxygène. On lui doit une respiration sur deux ! Les océans, les sols et les forêts absorbent près de 60 % des émissions de gaz à effet de serre, non sans conséquences car on observe par exemple une modification de l'acidité des océans, ce qui a un impact sur les organismes vivants. 75% des fruits et des légumes poussent grâce à la pollinisation réalisée par les insectes et certains mammifères qui sont les espèces les plus impactées.
Des abeilles domestiques à Tetiaroa. Les abeilles domestiques et sauvages assurent la pollinisation, c'est grâce à elles que nous avons fruits et légumes. D'autres espèces assurent également la pollinisation comme les chauves-souris et certains insectes.

Les récifs coralliens, dont 29% sont en recul Outre-mer, assurent à un demi-milliard d’êtres humains sur la planète leur apport en protéine. Les mangroves préservent nos côtes des effets de la houle cyclonique et assurent des réserves en eau en cas de sécheresse. Quatre milliards d'être humains ont recours à la nature pour se soigner. La liste de ces services écosystèmiques que la nature nous rend est longue, sans oublier que certains sont difficiles à quantifier. Elle est source d'inspiration, d'expérience et elle est également bonne pour la santé mentale comme l'a rappelé un expert de l'IPBES qui parlait du rôle des parcs dans les espaces urbains. Pour préserver la biodiversité et les services qu’elle nous rend, les experts ont appelé à un remaniement radical de la société.


La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier. 
Sir Robert Watson, président de l'IPBES 

 

Le rapport fait une large part aux peuples autochtones 

Le rapport de l'IPBES accorde une large place aux peuples autochtones et aux communautés locales. Il rappelle qu'un quart de la surface terrestre mondiale est géré par les populations autochtones, qu’elles soient ou non propriétaires de la terre. C’est là que l’on trouve des écosystèmes avec la plus forte conservation. D'ailleurs, 35 % des zones protégées recoupent les espaces où vivent les populations autochtones. Toutefois, ces terres sont également impactées par la perte de biodiversité. 
La biodiversité n’est pas liée uniquement à l’environnement, elle est au cœur des cultures des populations locales ou autochtones.

Les populations autochtones jouent un rôle essentiels dans la sauvegarde d’une grande partie de la biodiversité. Nous avons particulièrement évalué ces espaces. Nous avons utilisé plus de 450 indicateurs dont 72% montrent des signes de déclin et des pressions du fait de l’industrie extractive et la modification des terres.
- Edouardo Brondizio co-président de l’évaluation mondiale du rapport de l'IPBES

Un marquisienne confectionne un tapa c'est-à-dire une matière à base d'écorce d'arbre sur laquelle on peut reproduire des motifs ou avec laquelle on peut confectionner des habits etc. (à gauche) et kakouk, tisaneur à la Réunion. Il soigne avec les plantes.
 

La perte de biodiversité renforce les inégalités

La biodiversité est la pierre angulaire du développement par le truchement de la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau ou à l’énergie. La perte de biodiversité pose une question morale vis-à-vis des générations futures mais aussi éthique car la perte de biodiversité renforce les inégalités et peut mener à des conflits. La planète devient de plus en plus inégale tout en étant de plus en plus connectée.

Il va falloir changer notre façon de penser et réaliser que la dégradation de notre environnement et les inégalités sociales ne sont pas des conséquences inévitables du développement économique.
-Sir Robert Watson, président de l'IPBES

Les pays doivent arrêter de se concentrer uniquement sur le PIB et la production des énergies car pour vivre demain dans un monde qui ne soit pas détruit par les productions humaines, il faut changer et agir aujourd'hui.

En tant que citoyens, il faut revendiquer le droit d'être connecté avec un environnement sain et vivant.
- Sandra Diaz co-président de l'évaluation mondiale du rapport de l'IPBES 


Le rapport propose un éventail de solutions 

Selon les experts, la biodiversité a une capacité à rebondir qui se mesure dès que l'on agit pour limiter sa dégradation. Il faut toutefois changer en profondeur notre rapport à la nature. Les experts sont unanimes sur la nécessaire réforme des systèmes financiers et économiques à l’échelle mondiale au profit d’une économie durable. Ils préconisent également de reconnaître le savoir et les pratiques des peuples autochtones.

Nos scénarios montrent qu’il est possible de changer de trajectoire si nous agissons très rapidement sur notre modèle de consommation, à l’échelle aussi bien individuelle que planétaire.
-Yunne-Jai Shin, chercheuse en écologie marine à l’IRD, l’Institut de recherche et de développement.

Un agriculteur en produits biologiques en Martinique.

Tous ont souhaité voir leur rapport éveiller les consciences.
 
L'éducation, l'une des clés pour permettre la prise de conscience. Ici, une sortie scolaire à l'Herbier de Guyane (à gauche) et une sortie scolaire d'une classe de Saint-Pierre organisée par la Maison de la Nature et de l'Environnement de Miquelon.