“La France d'Outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes” : un livre “urgent” pour comprendre les récents enjeux des Outre-mer

Le géographe Jean-Christophe Gay a profité du premier confinement, loin des bancs de l’université, pour rédiger son nouveau livre, “La France d'Outre-mer, Terres éparses, sociétés vivantes”. Un ouvrage qui veut porter un regard novateur sur les Outre-mer.
Pour le géographe Jean-Christophe Gay, il y avait urgence à publier un livre sur les dynamiques récentes des Outre-mer. Sa volonté : aller au-delà des clichés et mettre à la portée de tous l’histoire de ce qu’il appelle “cette France que l’on connaît mal”. 

Spécialiste de la question du tourisme et des Outre-mer européens, il a notamment fait partie de l’équipe scientifique et technique de rédaction de l’Atlas de la Polynésie française de 1897 à 1993 et co-dirigé l’Atlas de la Nouvelle-Calédonie de 2009 à 2014. Son prochain livre, “La France d'Outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes” (Armand Colin), est à paraître le 5 janvier. Entretien. 


►Vous parlez, dans l’introduction de votre ouvrage, de “cette France que l’on connaît mal”. Il était nécessaire de publier un tel livre aujourd’hui ? 

Depuis le début des années 2000 il s’est passé beaucoup de choses en Outre-mer, à la fois sur le plan économique, démographique, institutionnel avec un certain nombre de réformes et d’évolutions. Plus ce qu’il se passe en Nouvelle-Calédonie aujourd'hui. Il m’a semblé qu’il y avait une urgence à porter à la connaissance d’un public large, notamment des métropolitains qui connaissent mal les Outre-mer, ces évolutions qui permettent de voir d’une autre façon la République Française.

Ce livre est à destination des étudiants historiens, géographes, sociologues… Mais plus généralement à destination d’un public éclairé qui veut vraiment connaître la France d’Outre-mer telle qu’elle est aujourd’hui, au-delà des clichés qui sont véhiculés un peu trop facilement. En tout cas plus que certaines régions françaises. 


►Il y a un manque à ce niveau-là dans la littérature française ? 

Dans l’historiographie française, la part de l’Outre-mer dans la nation n'a été abordée que très récemment. L'Outre-mer est la grande oubliée, jusqu’au début des années 2000. Il y a une méconnaissance profonde et un manque de visibilité sur ces territoires. Le fait qu’il y a de plus en plus de personnes originaires d'Outre-mer en métropole permet de comprendre pourquoi on s’y intéresse plus. Les réflexions post-coloniales ouvrent aussi des perspectives sur ces territoires, qui n’existaient pas il y a 20 ou 30 ans.

L’information est finalement assez disponible. Il y a des statistiques, beaucoup de rapports parlementaires, beaucoup de travaux de la Cour des Comptes… Mais il n’y pas beaucoup de synthèses. Les gens travaillent sur un territoire d’Outre-mer à la fois. L’un des problèmes de l’Outre-mer est la diversité des sources. Elles sont très variées, ça part dans tous les sens. Comprendre un Outre-mer ce n’est pas comprendre les Outre-mer. Il faut investir dans chacun pour comprendre l’ensemble. 

►Vous parlez dans votre livre d’un regard novateur et d’une nouvelle approche. Lesquels ?

À la fin, j'apporte un regard décentré sur l'Outre-mer et ses relations avec l’environnement proche. Le rôle de l’Australie en Nouvelle-Calédonie, par exemple. C’est un élément important. L’Outre-mer est connecté à la métropole mais il y aussi des liens avec des territoires qui sont dans son environnement régional. 

Dans ce regard novateur, il y a aussi l’utilisation de statistiques extrêmement variées, et pas seulement des statistiques produites par l'INSEE ou par les instituts statistiques territoriaux, mais des statistiques qui relèvent du ministère de l’Intérieur, de la Justice, plus difficiles à trouver. Il y a beaucoup de données complètement nouvelles qui sont utilisées. Par exemple, les recrutements des surveillants de prison. Des études, faites il y a quelques mois par l’administration pénitentiaire, montrent l’importance aujourd’hui des ultramarins en son sein. Un tiers des surveillants de prison sont originaires des Outre-mer. C’est un phénomène qui est très intéressant à analyser. 

►Vous consacrez une bonne partie de votre premier chapitre à justifier l’emploi des mots que vous utilisez, comme “Outre-mer” ou “métropolitains”... Pourquoi c’est important ?

Il faut bien mettre en garde sur les mots qu’on utilise. Faute d’autre mot, on parle d'Outre-mer. Il faut bien avoir en tête que c’est un regard qui génère ses a priori. Pendant plusieurs décennies, “Outre-mer” était clairement le synonyme de “colonie”. Ça renvoie aussi à métropole, à ultramarin. Finalement, l’Ultramarin est au Métropolitain ce que le provincial est à Paris. C'est l’imposition, d’un regard central, celui de Paris, sur la République française. 

►Vous passez en revue les enjeux des Outre-mer aujourd’hui, jusqu’aux défis les plus récents. Vous évoquez ainsi brièvement la situation du nickel en Nouvelle-Calédonie. Quel regard portez-vous sur le rachat de l’usine du Sud et les tensions qui en découlent ? 

Mon sentiment est qu’en Nouvelle-Calédonie, la question du nickel est hautement politique. L’usine du Nord a permis de débloquer les négociations pour l'accord de Nouméa en 1998. On arrive à la même situation avec l’usine du Sud aujourd’hui. Ce sont des clés pour comprendre la dynamique politique. L'économique est hautement lié au politique en Nouvelle-Calédonie, on ne peut pas les dissocier.