Le lieu n’est pas anodin : c’est en plein cœur de la capitale, au Carrousel du Louvre, que se déroule le salon Cosmetic 360. L’écrin est important pour mettre en avant l’industrie cosmétique, symbole du luxe à la française avec ces parfums et ces produits de beauté estampillés L’Oréal, Chanel ou Dior.
Parmi les 220 exposants présents sur ces deux jours, plusieurs viennent de Guyane. Depuis quatre ans, le territoire d’Outre-mer travaille à développer une filière locale au sein de la France, leader du marché cosmétique. Un marché qui pèse au niveau mondial "600 milliards d’euros, avec une croissance de 5%", estime Christophe Masson, directeur général de la Cosmetic Valley qui organise le salon.
Labellisée "pôle de compétitivité", la Cosmetic Valley est l’association des acteurs de la filière cosmétique – laboratoires, universités, entreprises – depuis la culture de plantes d'où sont extraits les molécules et actifs naturels, jusqu’au conditionnement et à la distribution de produits finis.
40 porteurs de projets en Guyane
Et en matière de plantes, la Guyane a de quoi faire : avec environ 7.000 espèces végétales indigènes en Amazonie, c’est le territoire français qui possède la biodiversité la plus importante, et par conséquent un potentiel énorme.
Après un premier accord en 2018, une antenne guyanaise de la Cosmetic Valley a été créée en mars 2022 et financée par la collectivité territoriale de Guyane. "Il ne s’agit pas de dupliquer ce qui se fait déjà [en métropole] mais de faire un diagnostic, souligne Christophe Masson. Le souhait, c’est de développer la cosmétique sur place pour le marché domestique."
En Guyane, l'antenne regroupe pour l'instant une soixantaine d'acteurs dont une quarantaine de porteurs de projets, l’agence Guyane Développement Innovation qui dépend de la collectivité, l’université, des doctorants et la préfecture.
Proscrire les pillages
Ils travaillent de concert pour développer la recherche sur la biodiversité amazonienne sur place, répondre aux besoins des grandes entreprises de la cosmétique tout en protégeant les ressources et les savoirs ancestraux.
C’est d’ailleurs une des spécificités de la Guyane. Bien que française, elle est considérée comme un territoire à part entière, de par les communautés autochtones qui détiennent des connaissances traditionnelles et des savoirs ancestraux sur les plantes.
Or, dans le cadre du protocole dit de Nagoya, entré en vigueur en 2014, tout laboratoire ou toute entreprise qui désire utiliser les ressources d’un territoire doit signer un accord. Cela vise à garantir la souveraineté des pays et des populations locales concernant leurs richesses biologiques et à proscrire les pillages intempestifs.
"C’est intéressant d’avoir une antenne régionale pour ça, avance Clara Zaremski, qui est responsable de l’antenne Cosmetic Valley en Guyane. Pour voir comment protéger les peuples qui utilisent les plantes et qu’ils aient un juste retour sur cette utilisation."
"Pas à n'importe quel prix"
"La Guyane est un carrefour mondial d’excellence, mais pas à n’importe quel prix, appuie Philippe Bouba, vice-président de la collectivité territoriale de Guyane en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche. La volonté est de valoriser avec raison."
"On veut créer un nouveau modèle autour de la bio-économie", surenchérissent Eric Lafontaine, directeur de Guyane Développement Innovation, et Nadine Amusant, déléguée régionale en recherche et technologie à la préfecture de Guyane. Traduction : ils veulent bâtir sur place une filière de la cosmétique, mais aussi créer des liens avec les acteurs de l'agro-alimentaire et de la santé qui utilisent les mêmes plantes.
Par exemple, à Montisnéry-Tonnegrande, une société baptisée Yana Wassaï transforme l’awara, la cupuaçu et le wassaï pour de l'alimentaire. Les résidus sont envoyés à Bio Stratège, un laboratoire à Matoury, qui en extrait des colorants ou des actifs naturels pour des entreprises de cosmétique.
Au-delà d’optimiser la ressource, le fait de créer une filière locale soutenue par la Cosmetic Valley amène plusieurs avantages : "une expertise en matière de réglementation et des possibilités d’export à l’international", pour Dave Drelin, le président de Yana Wassaï ; "une meilleure connaissance de l’offre et de la demande, et une visibilité de la Guyane dans la cosmétique", pour Mariana Royer, présidente de Bio Stratège.
Nouvelle antenne à La Réunion
"Une vitrine internationale et une mise en réseau", c’est aussi ce qu’apporte la Cosmetic Valley à La Réunion. La Guyane n’est en effet pas le seul territoire d’Outre-mer à vouloir développer une économie locale autour des produits de beauté.
L’île officialise justement ce mercredi 12 octobre la création d’une antenne Océan Indien à La Réunion. La signature se fait notamment avec Qualitropic, une entité regroupant environ 120 acteurs de La Réunion qui exploitent et valorisent les ressources naturelles tropicales du bassin indien.
Pour Jérôme Vuillemin et Henri Beaudemoulin, cela leur amène des débouchés, car des entreprises majeures du secteur s’intéressent aux molécules extraites des plantes de La Réunion pour les intégrer dans la composition de leurs produits de beauté. Quelles plantes précisément ? Nous ne le saurons pas, secret professionnel.
Pourquoi La Réunion ? Parce qu'avec le protocole de Nagoya, des entreprises qui se fournissaient à Madagascar ont préféré se tourner vers cette île voisine, qui dépend de la réglementation française et qui dispose d’une biodiversité exceptionnelle, avec plus de 900 espèces végétales indigènes.
"Pas de prélèvement dans la nature"
Mais le parc national de La Réunion, soit 40% de l'île, est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et près d’un tiers de ses espèces végétales est menacé. Il est donc hors de question de faire n’importe quoi avec les plantes réunionnaises pour les vendre aux grandes entreprises de la cosmétique.
"Il n’y a pas de prélèvement dans la nature, assurent Jérôme Vuillemin et Henri Beaudemoulin. On ne valorise que les végétaux que l’on sait cultiver, produire et valoriser."
"On travaille aussi de plus en plus avec les co-produits de l’agro-alimentaire c’est-à-dire les déchets d’ananas ou de mangue que l’on valorise en cherchant des utilisations dans les cosmétiques mais aussi dans les compléments alimentaires ou les phytosanitaires", ajoutent-ils.
Jérôme Vuillemin et Henri Beaudemoulin estiment déjà à une vingtaine le nombre de projets liés à la cosmétique sur l’île Bourbon.
Recensement des plantes en Martinique
Une vingtaine, c’est également le nombre d’entreprises (notamment très petites) en Martinique qui seraient à fédérer pour créer également une filière cosmétique sur l’île.
Car le département caribéen suit le même sillon que la Guyane et La Réunion. Le 26 septembre dernier, les élus de la collectivité territoriale de la Martinique (CTM) ont donné le feu vert à la création d’une antenne locale de la Cosmetic Valley qui devrait se lancer début 2023.
En attendant, Emy Njoh Ellong de la CTM détaille les actions lancées : "Un recensement des plantes utiles en cosmétique est en cours. On attend les premiers résultats d’ici six à huit mois." Car autant la pharmacopée locale est connue, autant la cosmétopée (c’est-à-dire l’ensemble des plantes et de leurs usages traditionnels cosmétiques) l’est moins.
Elle profite de son passage au salon pour discuter avec ses confrères et consœurs de Guyane et tirer profit de leur expérience. Elle espère que la Martinique aura, elle aussi, un stand dès l’année prochaine.