La vie est souvent pleine de surprises. Helvétia Taily peut en témoigner. Elle est née à Saint-Denis de La Réunion au siècle dernier. En 1999. Six ans plus tard, elle veut faire du sport. Dans son département, le handball fascine. Qui plus est à Saint-Denis avec le mythique club de l'AS Château Morange. Tout semble donc entendu. La petite Helvétia s'apprête à hanter les gymnases du département. Sauf que Château Morange n'a alors pas d'équipe filles chez les jeunes. Croix sur le hand. Faute de combattantes. Mais que faire ? Jean-Yves Taily propose à sa fille de s'essayer au kata. Euh… Le karaté en solo ? Mouais. La petite réunionnaise accepte. Sans grand enthousiasme. Pourtant, tout cela va vite changer. Très, très vite.
Une passion mais pas de victoires
Helvétia n'a que 6 ans lorsqu'elle découvre le kata. Dès la première séance, les doutes s'envolent. "J'ai adoré. Un vrai coup de foudre." Il y a juste un tout petit problème. "Je perdais beaucoup. Voire tout le temps. Je ne parvenais pas à passer le moindre tour aux championnats de La Réunion. Sans doute un peu trop de stress." Nouvelle intervention de Papa Taily. "Il m'a dit : soit tu fais des podiums, soit tu arrêtes le karaté. Ça a été le déclic pour moi. À partir de ce moment, j'ai commencé à obtenir des médailles."
Deuxième déclic en 2018 pour Helvétia Taily. La championne décide de quitter La Réunion. Elle est alors âgée de 19 ans et intègre le Sporting Karaté Budo d'Épinay-sous-Sénart au sud-est de Paris. "Ce club était proche de mon école. J'ai pu ensuite participer à mes premières compétitions nationales. C'est comme ça que l'un des sélectionneurs de l'équipe de France m'a repérée. J'intègre donc l'équipe tricolore espoirs. Ce qui est plutôt rare à cet âge-là. Et en 2021, je décroche la médaille de bronze aux Mondiaux espoirs à Santiago du Chili."
Parmi les meilleures mondiales
En mars dernier, Helvétia Taily a presque fait coup double. Le titre national à Lille. Puis une médaille d'argent aux championnats d'Europe à Guadalajara en Espagne. Changement de statut. Mais pas de pression supplémentaire pour autant. "J'essaie simplement d'oublier tout ce que j'ai fait auparavant. Comme si je recommençais à zéro." Et ce, malgré son nom qui rime désormais avec podiums internationaux. "Il n'empêche que je me présente à une compétition dans le kimono d'une personne normale. Je cherche peut-être juste à montrer que je suis une nouvelle Helvétia."
La Réunionnaise le reconnaît bien volontiers : le kata demande un gros mental. À chaque combattante, son petit truc. "Me concernant, quand j'arrive en compétition, je me glisse dans ma bulle. Je ne pense pas aux autres. Je me donne comme si j'étais à l'entraînement." Une bulle que la championne a mis un certain temps à trouver. "Tout a changé lors de ma première sélection pour les championnats du monde seniors. En demi-finales, je me retrouvais face à des filles qui avaient participé aux JO de Tokyo. Je me suis alors dit : si elles sont là, c'est qu'elles sont fortes. Or moi aussi, je suis là. Donc moi aussi, je suis forte !"
Helvétia, la karatéka policière
Le grand public ne le sait pas mais Helvétia, la championne, doit beaucoup à Taily, la policière. "Si j'ai quitté La Réunion, c'était avant tout pour intégrer l'école de police et devenir Adjoint de Sécurité." Devenir policière, son autre rêve. Un rêve devenu réalité en décembre 2020 lorsqu'elle est reçue au concours des gardiens de la paix. Durant quelques mois, Helvétia Taily a un agenda bien chargé. Journées en uniforme. Soirées en kimono. "Aujourd'hui, je suis détachée à 100 % grâce à l'Agence Nationale du Sport. Je ne fais que du karaté. Mais je retrouverai mon métier de policière à la fin de ma carrière sportive. C'est une évidence."
Quand la karatéka laissera la place à la policière, Helvétia connaît déjà ses objectifs. "Monter en grade. Devenir un jour, capitaine ou commandant." Quant au secteur d'intervention, il peut surprendre. "Les stupéfiants. Pourquoi ? Cela m'a toujours intéressée. Depuis toute petite, je suis focalisée là-dessus." L'occasion de faire un beau cadeau à son papa. Jadis, ce dernier rêvait lui aussi de devenir policier. Mais à son époque, il fallait mesurer plus d'un mètre soixante. Une condition supprimée en 2010. Aujourd'hui, Jean-Yves est fier de sa fille, reine du kata. Demain, il suivra la carrière de Helvétia, la policière avec tout autant d'admiration.