Laurent Voulzy : "La guitare a été une thérapie pour moi" #MaParole

"Né dans le gris par accident", Laurent Voulzy a construit pierre par pierre une œuvre syncrétique riche d’un mélange de pop anglaise, de racines antillaises, d’influences médiévales sur des textes nés de l'imaginaire d'Alain Souchon. Voyage au cœur d’une vie grenadine dans #MaParole.

Qu’est-ce que c’est agréable d’être reçu avec des gaufres délicieuses, des bêtises de Cambrai et un bon thé ! C’est ainsi qu’a débuté cette interview de Laurent Voulzy. Il faisait froid dehors, on n’osait pas trop entrer. Mais le chanteur est venu gentiment nous chercher. Il venait de terminer un entretien avec une journaliste du Monde. Le temps de faire chauffer de l’eau, de préparer du thé et de tout mettre à table, il était prêt à répondre à nos questions.

#1 Lucien Voulzy

"Né dans le gris par accident" comme dit la chanson Le Cœur grenadine. En 1948 le chanteur a traversé l’Atlantique dans le ventre de sa mère, Marie-Louise Voulzy surnommée Malyse. Son amoureux Lucien Gerville-Réache, comme beaucoup de garçons de cette époque, "n'avait pas envie de prendre ses responsabilités". Dans la petite bourgeoisie guadeloupéenne, "c'était assez mal vu d'être enceinte et de ne pas se marier". "On lui a pris un billet de bateau et on lui a réservé une chambre". C’est ainsi qu’est né à Paris, "dans le gris", Lucien Voulzy, le futur Laurent Voulzy.

Pendant sa petite enfance, Laurent Voulzy a été confié successivement à deux nourrices. La première dans le 18e arondissement de Paris puis à partir de 5 ans à Pavillon-sous-Bois. A Paris, "j'étais nourri à coup de lance-pierres". "On m'a retiré de cette nourrice car je commençais à faire du rachitisme", raconte le chanteur. Laurent Voulzy a fini par revenir à la maison à l’âge de 8 ans. Sa mère avait abandonné sa carrière de danseuse dans les cabarets. "Un petit frère était entre-temps né, un autre arrivait".

De son enfance à Paris, à Pavillon et à Nogent-sur-Marne, Laurent Voulzy garde des souvenirs contrastés. Au collège, ce n’était pas toujours "formidable". "J’étais nul en maths, en latin et en anglais" dit-il. "Je suis retourné à l'école primaire, et ensuite on m'a mis dans un collège à Montreuil pour faire de la comptabilité". Le chanteur se demande si l'orientation professionnelle avait fait "le bon choix". "J'ai fait trois mois", dit-il sobrement. En revanche, à Vitry, dans un internat particulièrement rigide et sévère, le chanteur a fini par souffler. Il a même aprécié ce collège où il a rencontré de très bons copains. "J'ai commencé à travailler, j'ai commencé à jouer de la guitare". "Je ne garde pas de mauvais souvenirs de cette période, au contraire", dit-il aujourd'hui.

Pendant cette adolescence, il se souvient aussi de moments "merveilleux" passés à Charpont en Eure-et-Loir avec ses cousins et cousines dans la belle maison de campagne de son oncle Gaston Voulzy. C’était un homme "d’une beauté surnaturelle", dit-il. Très connu en Guadeloupe dans les années 50 pour sa carrière de footballeur, Gaston avait des amis ayant le goût des belles voitures, comme son neveu. A l’âge de 15 ans, Laurent Voulzy a reçu à Noël un cadeau qui a changé sa vie : une guitare offerte par sa mère. L’adolescent avait déjà commencé à s’entraîner sur la guitare d’un copain. Mais là, il avait enfin la sienne et "pendant toute son adolescence, il ne l’a plus quittée", témoigne son frère Richard Voulzy. "La guitare a été une thérapie pour moi", souligne le chanteur.

 

#2 Timide

A la préhistoire de sa carrière de chanteur, Laurent Voulzy, poussé par sa mère, a débuté dans un radio crochet à Saint-Brevin-les-Pins en 1967 avec une chanson intitulée Timide. "J’étais très très timide sauf avec mes copains", s’amuse aujourd’hui le chanteur. "Les filles restaient pour moi un fantasme absolu", avoue celui qui a composé plusieurs chansons "pour des filles qui ne l’ont jamais su". Malgré tout, le chanteur a gagné le radio-crochet avec son copain Jean-Renaud. Il a conservé précieusement le diplôme sur lequel figure la mention "prix offert par le pneu Dunlop SP Sport et l’huile Lesieur".

Laurent Voulzy a travaillé pour des agences d’intérim. Il se souvient en particulier d’un job au cours duquel il devait classer des documents. "Grâce à ce travail, j’ai appris le nom de tous les départements français", s’amuse-t-il. Il n’en garde aucun mauvais souvenirs. Au contraire. La responsable lui permettait d’aller passer ses auditions. Petit à petit, Laurent Voulzy est entré dans le circuit de la musique. Il a changé de prénom, passant de Lucien à Laurent et a enchaîné quatre albums, des 45 tours. "Mon but, dit-il, était d’avoir une chanson qui marche". Mais la reconnaissance n’est pas venue tout de suite. "C’était minant parfois", dit-il. Mais l’artiste était bien occupé à faire des arrangements et à travailler pour d’autres chanteurs comme Pascal Danel.

En 1974, par l’entremise de sa maison de disques, Laurent Voulzy a fait la rencontre qui a changé sa vie. Avec Alain Souchon, tout s’est enchaîné très vite. Laurent Voulzy écrivait les mélodies, Alain Souchon les textes. Et d’un coup la carrière du premier a décollé. C’est bidon, J’ai dix ans, Jamais content, les tubes se sont succédés. Et puis en 1977, dix ans après Timide, Laurent Voulzy a enfin composé son propre tube : Rockollection avec des paroles d’Alain Souchon. "Ça a complétement changé ma vie", dit-il. "Je me souviens, j’allais faire des télés en Allemagne où j’étais numéro deux, je rentre dans l’ascenseur, j’entends Rockollection. Je vais en Italie faire une télé à Venise, j’entre dans une pizzeria, j’entends la chanson à la radio. Je vais dans un restaurant en Argentine, je tombe encore sur la chanson. Ça ne peut pas laisser indifférent."

Dans les années 70, Laurent Voulzy a aussi composé Le Cœur grenadine, un autre grand tube qui a marqué les esprits. Un titre très autobiographique. "C’est le génie d’Alain", "Grenadine, c’est tendre, c’est aussi les îles", note-t-il. "A l’époque, j’étais amoureux d’une jeune femme qui était partie en Guadeloupe. Moi, je ne connaissais pas du tout la Guadeloupe", se souvient-il. La Guadeloupe, il a fini par la découvrir, enfin, en 1983 à l’âge de 35 ans. "Ma mère n’avait pas les moyens de nous payer les billets pour partir là-bas en vacances et par la suite, j’étais trop occupée par la musique" raconte-t-il. Invité par une association, il a fini par accepter de s’y rendre. Il se souvient dans #MaParole de ce voyage très émouvant et de son premier concert à Pointe-à-Pitre. Après avoir interprété Le Cœur grenadine, son père, Lucien Gerville Réache, a été le premier dans la salle à se lever pour l’applaudir.

 

#3 Vive le tennis

A quoi tient le succès d’une chanson ? "S’il existait quelqu’un capable de prédire si une chanson va marcher ou pas, sans jamais se tromper, il serait milliardaire et les maisons de disques se l’arracheraient", s’amuse Laurent Voulzy. Lui, n’a pas manqué de flair. En particulier avec la chanson Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante. Il revenait un jour en voiture d’une partie de tennis à Nogent-sur-Marne quand il a entendu sa chanson passer sur une radio locale. Le titre figurait en face B du 45 tours des Nuits sans Kim Wilde en 1985. Laurent Voulzy s’est dit : "tiens, elle a vraiment quelque chose cette chanson, mais la voix est trop faible". Son ami Alain Souchon lui a suggéré de la remixer pour mieux entendre les paroles qu’il avait écrites. Le directeur de la maison de disque n’y croyait pas trop, mais un autre responsable a insisté pour que la chanson figure en face A. La suite lui a donné raison. Le titre a remporté un succès considérable. Elle a été élue meilleure chanson des années 80 et 14e chanson du siècle en France. Laurent Voulzy se souvient du jour où il a chanté pour la première fois Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante au centre Tjibaou à Nouméa. Après les paroles "Karukera, Calédonie", la foule s’est enflammée. Aux Vieilles Charrues devant 70 000 personnes, le chanteur se rappelle avoir été au bord des larmes quand il a entendu le public chanter les paroles de sa chanson comme un seul homme.

Contrairement à son vieux compagnon de route Alain Souchon, Laurent Voulzy n’a jamais voulu "faire l’acteur". Et puis tout récemment, à la demande de Pascal Légitimus, le chanteur a fait une apparition dans Meurtre à Marie-Galante, un téléfilm sur France Télévisions. Il a pris beaucoup de plaisir et ne semble pas hostile à l’idée de remettre ça. Au chapitre des nouveautés, l’artiste a aussi décidé d’écrire un premier livre. Intitulé Mes cathédrales, il est paru chez Stock avec la complicité du journaliste Laurent Joffrin. Avant et depuis le confinement, Laurent Voulzy s’est lancé dans une incroyable tournée dans les cathédrales. De Saint-Sulpice au Mont-Saint-Michel, le public répond présent. Dans son livre, le chanteur a choisi de raconter l’histoire très sérieuse de certains de ces lieux agrémentée de quelques anecdotes de son cru. Laurent Voulzy confie dans #MaParole qu'il aimerait beaucoup venir jouer un jour à la cathédrale Notre-Dame de Guadeloupe à Basse-Terre.

Le chanteur a aussi récemment milité pour la panthéonisation de Joséphine Baker. On est venu le chercher, mais il n’a pas fallu le prier bien longtemps. Laurent Voulzy a été fasciné par le parcours extraordinaire de Joséphine Baker, cet artiste, "égérie des peintres", militante et espionne pour la résistance "qui cachait des documents confidentiels dans ses partitions". Sur un plan plus personnel, Laurent Voulzy a trouvé beaucoup de points communs entre le parcours de Joséphine et celui de sa mère. Sa mère, "une héroine inconnue", avait choisi pour nom d’artiste, Malyse Baker, "comme Joséphine", raconte-t-il dans #MaParole. "Comme elle, elle a traversé l’Atlantique, elle aussi voulait devenir danseuse et elle aussi a élevé seule ses enfants".

Porté sur le monde des esprits, la spiritualité et le mysticisme, Laurent Voulzy a pris l'habitude de noter très sérieusement ses rêves "depuis 1980 à Rambouillet", précise-t-il. Au cours de sa carrière, des musiques lui sont venues en songe. Pas beaucoup, mais quand même. Dans #MaParole, il raconte ainsi la genèse de la chanson L’oiseau malin. Quant à Amélie Colbert, l’une des rares chansons de Laurent Voulzy en créole, ce titre, il l’a longuement mûri et réfléchi. Il avait choisi de composer une biguine et de faire appel à des musiciens antillais. Les frères Fanfant, Camille Sopran’n au saxophone, Mario Canonge au piano, Roger Raspail aux percussions ont participé à l'enregistrement. "Cette chanson a été importante pour moi. Elle a touché des gens", conclut Laurent Voulzy. 

A la prise de son : Bruno Dessommes

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♦♦ Laurent Voulzy en 5 dates ♦♦♦

 

►18 décembre 1948

Naissance de Laurent Voulzy à Paris 18e

►1967

Remporte un radio crochet à Saint-Brevin-les-Pins

1974

Rencontre avec Alain Souchon

1979

Sortie de son premier album Le Cœur grenadine

►2001

Sortie de son quatrième album, La fille d’avril (Amélie Colbert)