Le kompa à la conquête du monde : comment ce genre musical haïtien est revenu sur le devant de la scène ?

Ouverts à tous, les cours de konpa facilitent la transmission de cette danse, et donc de cette culture.
Cours de danse, remix sur les réseaux sociaux, concerts... Le kompa résonne partout. Auparavant cloisonné à la sphère américaine, le genre musical originaire d'Haïti charme de plus en plus le grand public. Décryptage.

Au nord de Paris, le restaurant haïtien "Riz Djondjon" se remplit doucement. Un mardi soir à 21 heures, quelques tables sont prises pour le dîner. Mais des clients se pressent pour rejoindre le sous-sol en pierre d'où s'échappent des notes de kompa. "Et un, deux, trois, quatre", lance Lesly Lamothe au groupe de danseurs qui s'étoffe avec les retardataires. Sous la lumière tamisée et sur un rythme chaloupé, ils sont au total une vingtaine à suivre les instructions du professeur pour apprendre à danser le kompa (que l'on peut aussi écrire "konpa", orthographe davantage utilisée par les Haïtiens). 

Charles suit facilement le mouvement, c'est sa quatrième session. Après avoir découvert les cours sur Instagram, il a décidé de "sauter le pas". "Je connaissais le kompa de nom, mais je n'avais jamais pratiqué. J'aime le côté sensuel, la sensation de liberté de se laisser porter par la musique", précise le trentenaire.

Dans ce cours, les âges et les profils se mélangent. "Au début, il y avait beaucoup de non-Caribéens, précise le professeur. Mais maintenant, il y a aussi des Caribéens qui découvrent que le kompa ce n'est pas que du sur place, qu'il y a plein de choses intéressantes à faire."

Originaire de Mayotte, Ida a grandi en écoutant du kompa : "Mes sœurs dansaient le kompa quand j’avais 5,10 ans. Les voir danser souvent, forcément ça donne envie." Pour autant, Ida ne compte pas se reposer sur ses acquis et cherche à apprendre de nouveaux pas. Ce soir, elle a surtout traîné son copain pour qu'il soit "plus technique". "Je connaissais le kompa, mais je ne pratiquais pas", concède Naym, qui espère ne plus marcher sur les pieds de sa copine à l'issue de ce cours.

"Derrière le kompa, il y a tout un pays"

Depuis le mois de janvier, Eko Ognami propose ces cours tous les mardis soir dans le deuxième arrondissement de Paris. Organisateur d'évènements dansants, le chef de projet dans l'informatique a remarqué un intérêt croissant du public pour le kompa. "Les gens viennent par curiosité, ils mangent au restaurant puis dansent le kompa. En général, c'est un public âgé de 25 à 45 ans qui participe au cours." 

Trois à quatre professeurs différents s'enchainent pour assurer les cours, mais Eko Oganmi tient, dans la mesure du possible, à ce que les enseignants soient Haïtiens, afin de "diffuser cette culture". C'est le profil de Lesly Lamothe, professeur de danse folklorique haïtienne, de kizomba, et depuis le mois de janvier, de kompa.

Le kompa est en train d'évoluer, donc je pense que c'est important de connaitre les bases de cette danse et ses racines. Je ne veux pas qu'on oublie que derrière le kompa, il y a tout un pays, toute une culture et des valeurs qui sont transmises dans cette danse et la musique.

Lesly Lamothe, danseur professionnel et professeur de danse haïtien

Une institutionnalisation de la danse

Grâce à des professeurs de danse comme Cliford et Gaëlle Jasmin, un couple de danseurs professionnels, le kompa peut désormais s'apprendre, et donc se transmettre. "Le kompa a cette chance d'avoir connu une vraie institutionnalisation en termes de danse", analyse Valérie-Ann Edmond-Mariette, doctorante en histoire à l'université des Antilles. Cliford est Haïtien, Gaëlle Martiniquaise. Le couple a créé une école de danse parisienne autour du kompa, et de nombreux outils pédagogiques comme des vidéos ou un livre, pour favoriser l'apprentissage de cette danse.

"Ça facilite la transmission et l’identification en termes chorégraphiques de ce que peut être le kompa", souligne l'universitaire, spécialisée dans la musique des Antilles. Selon la chercheuse, la danse kompa a également bénéficié de l'essor de la kizomba, une danse qui a désormais une place à part entière aux côtés de la salsa et de la bachata dans les danses de couples. 

Dans les soirées salsa, ils mettent du kompa, dans les soirées bachata, ils mettent du kompa et dans les gros festivals kizomba, ils mettent du kompa. Il y a un fort engouement ces dernières années, c’est incroyable.

Ti Jojo, organisateur des soirées Kompa Deluxe

Depuis 2015, le Martiniquais propose des soirées Kompa Deluxe. Le concept ? Des bals dansants où toutes les générations peuvent se retrouver sur une bande-son rétro où s'enchaînent kompa, gouyad (un dérivé du kompa, plus lent) et zouk. Au départ basé à Paris, Ti Jojo a exporté ses rassemblements dans le sud de la France, dans les Outre-mer, mais aussi à l'étranger. Le matin même, il a reçu un appel d'un organisateur au Mali. "Il y a des endroits, je ne savais même pas qu'on écoutait du kompa", s'amuse le trentenaire. 

TikTok, la plateforme de renaissance du kompa

Comme tout phénomène, le kompa n'a pas échappé aux réseaux sociaux. "Tiktok, ça a été la plateforme de renaissance du kompa", avance Lucas Seb, musicien guadeloupéen. Le système de "challenge", propre à cette plateforme, est propice pour lancer un engouement autour d'une musique ou d'un genre en particulier. Un utilisateur réalise une chorégraphie sur un extrait musical, puis les autres refont les mêmes mouvements à leur manière, sur la même musique. 

À travers des vidéos de danse, ou des remix musicaux, le kompa a gagné sa place dans notre quotidien virtuel. Pour le plus grand plaisir des internautes. Chaque semaine, Lucas Seb poste une vidéo, souvent avec des touches humoristiques, de ses propres compositions ou de reprises. "Chaque fois que je mets une nouvelle vidéo, les gens vont commenter en disant : ah ça, ça me remonte le moral, ou ça ça m’apporte la joie, s'étonne le musicien. Je vais me faire plaisir, mais aussi faire plaisir aux gens, c'est un petit médicament." 

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"Dès que ça ne va pas, j'écoute du kompa, et après je me sens mieux", appuie Mr Kompa. Sur TikTok, le Camerounais poste régulièrement des vidéos de remix kompa au piano. Suivi par plus de 300 000 personnes, certaines de ses vidéos enregistrent plus de 5 millions de vues. Mais toujours "100% de retour positif" assure le musicien autodidacte. Après avoir découvert le kompa en 2013, il commence à en faire la promotion sur les réseaux à partir de 2017. 

Un genre plébiscité par les artistes "urbains"

"À cette époque-là, le kompa était concentré en Haïti. Maintenant le kompa s'internationalise, tout le monde en écoute", ajoute Mr Kompa. Selon Valérie-Ann Edmond Mariette, "les genres musicaux à la mode sont le zouk et le kompa parce que ce sont ces beats que l’on retrouve depuis une dizaine d’années dans la vague afrobeats".

Grâce à des artistes comme Major Lazer ou Wizkid, les musiques caribéennes comme le reggae ou le ragga dancehall sont revenues sur le devant de la scène depuis les années 2015. Une tendance suivie de près par le zouk et le kompa, qui ont pu bénéficier d'une mise en valeur par des artistes reconnus comme Aya Nakamura ou Dadju, friands de leurs sonorités. "À partir de 2019, le zouk et le kompa deviennent les genres plébiscités par les artistes français catégorisés comme 'artistes urbains'", précise l'historienne Valérie-Ann Edmond-Mariette.

Cet enthousiasme ne sort pas de nulle part. Derrière le son Va dire à ton ex de Dadju, il y a Joé Dwèt Filé à la production, ce qui signifie que c'est lui qui a composé le morceau. D'origine haïtienne, le chanteur, auteur-compositeur et ingénieur du son a toutes les casquettes.

Avec déjà trois albums à son actif, dont deux certifiés disques d'or, Joé Dwèt Filé a conquis son public. Mais c'est surtout en composant pour des artistes connus du grand public comme Axel Tony ou Vegedream que l'Haïtien a grandement contribué à la reconnaissance du kompa en dehors de la sphère caribéenne. 

Des racines peu revendiquées

L’ennui, c’est que ce sont des artistes qui ne vont pas forcément revendiquer, qui ne vont pas forcément expliquer leur démarche artistique et dire qu’ils font du kompa ou du zouk. Et finalement, on a une invisibilisation de nos genres musicaux, alors que ce sont les genres les plus utilisés aujourd’hui.

Valérie-Ann Edmond-Mariette

Cette confusion s'accentue notamment en raison des playlists proposées par les plateformes de streaming où l'on retrouve indifféremment "du Joé Dwèt Filé, du Aya Nakamura, en même temps que du Fanny J, du Nesly, du Meryl," dans une compilation dite zouk ou kompa, alors que "ce ne sont pas les mêmes genres musicaux", insiste l'historienne. 

Le guitariste JB Guitare, ou de son vrai nom Jean-Eudes Beaugé, surveille attentivement l'internationalisation de ce genre musical originaire de son pays. "Je trouve que c'est une bonne chose, mais il faudrait davantage compter sur les Haïtiens pour le faire", explique le guitariste du groupe Original H.

En attendant "une véritable reconnaissance", Jean-Eudes Beaugé voit cet engouement du grand public comme un "bon début". Fin mars, Haïti a déposé sa candidature à l'UNESCO pour que le kompa soit inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. La reconnaissance ultime ?