"Si on veut une vrai alternative aux alcools, pourquoi ne pas partir directement des alcools ?" L'idée parait logique et pourtant personne n'avait encore réussi à la mettre en pratique, avance Calixte Payan. Installé à une terrasse de café lyonnais avec "vue sur le Mont Blanc", le jeune fondateur de Sober Spirits vante les mérites de ses produits, "les seuls spiritueux au monde élaborés à partir de vrais alcools". Depuis janvier 2022, son entreprise commercialise rhums, gins et whiskeys 100% sans alcool grâce à une technique innovante.
Pour le rhum, on travaille à partir de vrais rhums des Antilles. On pratique ce qu'on appelle l'extraction d'alcool en séparant le goût de l'éthanol. On va ensuite retravailler le goût, redistiller afin de complexifier l'aromatique et d'ajouter de nouvelles notes.
Calixte Payan, fondateur de Sober Spirits
L'opération, délicate, est d'abord réalisée à Grasse, épicentre de la parfumerie, puis dans une distillerie des environs de Lyon. Pour 500 litres de rhum, dont l'origine précise reste secrète, seul un litre de concentré d’arômes est récupéré. Le produit passe ensuite par trois distillations successives. "La belle couleur de type rhum brun est obtenue grâce à du chêne qu'on redistille pour en quelque sorte vieillir le spiritueux", détaille Calixte Payan, bouteille de Sober Rhum à la main, "ce qui va donner des notes boisées, caractéristiques, très agréables dans des cocktails".
Il aura fallu deux années de recherches et des centaines de tests pour obtenir un résultat "satisfaisant" aux yeux du Lyonnais, au départ totalement novice dans l'art de l'alambic. Très vite, son produit a convaincu les professionnels du secteur et obtenu en 2021 le titre de Meilleur rhum sans alcool à l'International Wine & Spirit Competition de Londres puis, l'année suivante, à la San Francisco World Spirit Competition.
Sans alcool, la fête est plus folle
Dans les bars aussi, ce spiritueux d'un nouveau genre séduit. Michael Faleme, bar manager du Groom, a été parmi les premiers à tester la boisson avant de l'ajouter à la carte de cet établissement proche de l'Hôtel de Ville de Lyon. "La particularité avec ce type de produit, c'est qu'il y a un côté fût au nez qui perturbe les sens", explique t-il, tout en concoctant avec dextérité un Ti'sobre, sa version sans alcool du classique punch. Le barman raconte comment il a déjà dû rassurer ses clients, notamment des femmes enceintes, sur son caractère inoffensif pour la santé, tant la ressemblance avec un cocktail alcoolisé peut paraitre bluffante.
Michael Faleme observe aussi d'un œil concerné la démocratisation des boissons sans alcool dans un milieu de la nuit parfois réticent. "La demande existe. Les gens veulent consommer différemment, moins boire et boire mieux". Il ajoute : "de nombreuses femmes fréquentent notre établissement. Je fais attention à ce qu'elles se trouvent dans un environnement safe et ça passe par gérer la consommation d'alcool des clients". Infusions et sirops maison, distillat goût genièvre, spritz sans alcool... Ici, on privilégie l'expérience gustative à la recherche de l'ivresse. Une manière aussi pour le barman pédagogue de promouvoir son ile d'origine, la Guadeloupe.
Le rhum a une importance capitale aux Antilles. On éduque encore nos clients, Français ou étrangers, à propos de ce rhum agricole qui vient des îles. Forcément, quand on a un produit sans alcool dont la matière première vient de là-bas, c'est une nouvelle manière de montrer que nos territoires ont du talent.
Michael Faleme, bar manager du Groom à Lyon
Un marché du sans alcool en pleine expansion
Un peu plus d'un an après sa commercialisation, Calixte Payan peut savourer le succès de son Sober Rhum avec quelques 30.000 bouteilles déjà écoulées. Aux bars et restaurants, débouchés classiques, sont venus s'ajouter de nouveaux venus parmi les clients : les cavistes sans alcool. Ces boutiques spécialisées aux noms évocateurs comme Le Paon qui boit à Paris fleurissent dans l'Hexagone mais aussi à La Réunion ou en Guadeloupe où deux enseignes ont récemment vu le jour. "Ces deux territoires très réputés pour leurs rhums ont été les premiers intéressés après la métropole", sourit l'entrepreneur avant d'évoquer sa récente collaboration avec les responsables du Plaisir sans ivresse, caviste sans alcool installé à Jarry, en Guadeloupe.
Déjà présent dans sept pays, Sober Spirits compte s'étendre encore à l'international et sur le marché français en s'implantant dans d'autres territoires d'Outre-mer. Le tout dans un environnement de plus en plus concurrentiel, comme l'explique Calixte Payan.
En 2019, on trouvait une vingtaine de concurrents sur le marché des spiritueux sans alcool. Ils étaient à peu près 160 en 2021 et 300 fin 2022.
Calixte Payan, fondateur de Sober Spirits
Cette croissance devrait d'ailleurs se poursuivre cette année si l'on se réfère à l’IWSR, principal analyste du marché des boissons alcoolisées. Selon sa dernière étude, le marché des boissons sans alcool ou à faible teneur en alcool devrait croître de 7% par an d’ici à 2026.
Un mouvement que Michael Faleme entend bien accompagner. Derrière le comptoir du Groom, il râpe légèrement une fève tonka au dessus d'un verre à cocktail, touche finale à la préparation de son Ti'sobre. L'occasion, avant de trinquer, de développer sa philosophie des soirées. "J'accorde une importance à ce que toutes les personnes qui viennent ici se sentent à l'aise, ne soient pas frustrées. Certains consommateurs ne veulent ou ne peuvent pas boire. J'aime ce côté où tout le monde peut profiter d'un bon moment sans être mal à l'aise ou jugé". Ti'punch ou Ti'sobre. Pour une fête plus inclusive... Santé !