Imaginez. Aux abords du périphérique du nord parisien, un lieu ouvert et verdoyant. Sur la terrasse, un groupe de jeunes jouent aux dominos. Quelques mètres plus loin, d'autres visiteurs suivent une conférence littéraire sur l'écrivaine d'origine guadeloupéenne Estelle Sarah-Bulle, avant de rejoindre la piste de danse où vibrent les basses sur un son shatta (genre musical né en Martinique et incarné par l'artiste Maureen). "Ce serait génial si ce lieu existait, s'enthousiasme Zaïan Amédée, étudiante en graphisme à Paris. Il permettrait aux jeunes de la communauté antillaise de se reconnecter avec leurs origines, sans avoir besoin de prendre un billet d'avion."
Première étude sur le graphisme antillais
Pour clôturer ses études, Zaïan a réfléchi pendant un an à la communication visuelle qui pourrait accompagner ce lieu fictif. "Pour moi, c'était juste logique de faire quelque chose sur les Antilles", explique la jeune fille originaire de Sainte-Lucie, qui s'est lancée sur ce sujet pour avoir "plus de proximité" avec ses racines.
Avec ce projet, l'étudiante se penche sur un domaine peu étudié : le graphisme antillais. "Il n'y a pas beaucoup de recherches sur ce sujet, précise Zaïan. Je me suis beaucoup appuyé sur les travaux de Dimitri Zephir, et quelques ouvrages d'Edouard Glissant où l'on parle un peu de l'identité visuelle."
Zaïan rassemble alors "des centaines et des centaines" de pochettes d'albums, de publicités de rhum, d'affichages muraux. On peut citer la publicité pour le rhum Clément de Martinique en 1964 ou encore l'affiche du film Siméon réalisé par Euzhan Palcy en 1992. Le but : analyser la communication visuelle propre aux Antilles pour en définir les codes.
Une communication "très riche visuellement"
"J'ai pu identifier différents aspects de l'expression graphique qui sont récurrents comme l'irrégularité du tracé, la peinture à la main, l'usage des couleurs primaires ou la juxtaposition de différents éléments graphiques", détaille l'étudiante. Zaïan se penche en particulier sur la catégorie évènementielle, ces affiches de soirées zouk ou beach party, qu'elle considère plus "moderne".
C’était intéressant de voir des types de communication si différents de ce qu’on peut avoir en France hexagonale. Il y a un usage des couleurs fluos, énormément d’effets stylistiques comme des flous ou l'épanchement d'encre autour du texte. C’est très riche visuellement, presque trop pour notre œil occidental qui n’est pas habitué.
Zaïan Amédée, étudiante en graphisme et image de communication
Des thèmes "simplistes, voire nuisibles"
La communication sur les Antilles, mais à l'intention du public métropolitain ou étranger, est aussi analysée. Comme les timbres, les publicités pour les billets d'avion ou les destinations touristiques. "Ce sont des thèmes récurrents de représentation simpliste, voire nuisible à la culture antillaise, puisqu'il ne la représente pas de façon authentique dans toute sa richesse, analyse Zaïan. Comme l’exotisme, qui dépeint les Antilles comme des lieux paradisiaques, complètement lissés, et dépourvus de leur singularité et de leur culture."
Ce type de communication a la particularité d'être accessible au plus grand nombre, et donc, "de communiquer rapidement et simplement aux yeux étrangers". À l'inverse, lors de ses recherches, Zaïan découvre des acteurs basés dans l'Hexagone qui s'adressent à la communauté antillaise et au grand public, à l'aide d'une communication plus représentative de la culture antillaise, mais aussi plus exclusive.
Par exemple, le domino est devenu un symbole antillais pour la communauté, mais pas pour le grand public. C'est comme la machette, quelqu'un qui n'est jamais venu aux Antilles ne va pas l'associer directement à cette culture.
Zaïan Amédée
Mettre en valeur le tissage culturel
Pour son projet de diplôme, Zaïan ambitionne de trouver le juste milieu : créer une affiche sur laquelle les Antilles sont reconnaissables par le plus grand nombre, tout en permettant à la communauté antillaise de se sentir représentée de manière "authentique et juste". Après plusieurs axes de recherche, l'étudiante finit par opter pour le motif du tissage, illustré par le madras ou le tissage de feuilles de palmier.
Pour moi, la culture antillaise et la culture française, ce sont deux choses qui sont entrelacées par un passé commun, mais qui ont tout de même leur propre singularité. La culture antillaise en elle-même, c’est déjà un tissage de plein d’influences étrangères, mais qui arrive à former quelque chose d’uniforme.
Zaïan Amédée
L'étudiante n'hésite pas à prendre du recul sur sa réflexion.
Le phénomène de métissage culturel qui a eu lieu aux Antilles avec la colonisation, c’est un phénomène qui est en train de prendre place partout avec la mondialisation. C’est intéressant d’identifier comment on peut faire en sorte que chaque identité singulière ait une place dans l’identité nationale, tout en s'assurant que, comme un tissage, il y ait une union et quelque chose d’uniforme.
Zaïan Amédée
Une idée jugée pertinente, puisque Zaïan obtient les félicitations du jury lors de la présentation de son projet de diplôme. Les affiches sont prêtes, il ne manque plus que le lieu.