Les députés ultramarins face au gouvernement : de la frustration à l’union

Les Outre-mer sont représentés par vingt-sept députés à l'Assemblée nationale.
Un mois après les élections législatives, le lien de confiance ne cesse de s'étioler entre le gouvernement et les Outre-mer. La crise s'est encore exacerbée lors de l'examen du projet de loi pouvoir d'achat depuis ce lundi 18 juillet. Retrouvez l'analyse de politique de notre journaliste Serge Massau.

Lors de son discours de politique générale, le 6 juillet, la Première ministre Elisabeth Borne promettait de mettre les Outre-mer "aux avant-postes" de sa politique. Pourtant, il n’aura pas fallu plus d’un mois, depuis pour les élections législatives, pour que le sentiment d’abandon des députés ultramarins s’exacerbe encore davantage envers le gouvernement. 

Il y a d’abord eu le passage éclair de Yaël Braun-Pivet au ministère des Outre-mer. Elle promettait de mettre "toute son énergie à construire un vrai chemin d’avenir et de progrès" pour les Outre-mer, avant de s’envoler, un mois plus tard, vers le perchoir de l’Assemblée nationale, sa véritable ambition.

Puis Jean-François Carenco, haut-fonctionnaire ayant connu les Outre-mer dans les années 90, lui a succédé rue Oudinot, mais comme simple ministre délégué, rattaché au ministre de l’Intérieur. Un retour vers le passé pour certains, un positionnement au cœur de l’appareil d’Etat pour d’autres.

La semaine dernière, les députés ultramarins ont arraché un assouplissement des contraintes sanitaires liées au Covid-19. Avec l’appui des oppositions, de la Nupes au RN, mais contre l’avis du gouvernement. C’était lors de la première lecture devant l’Assemblée nationale, avant que le Sénat ne rétablisse la possibilité de contrôler les voyageurs en provenance des Outre-mer.

Enfin, il y a eu le projet de loi pour le Pouvoir d’achat, vide de mesures spécifiques pour les Outre-mer. Un texte en forme de "goutte d’eau qui a fait déborder un vase pourtant très grand", selon l’expression de la députée de La Réunion, Karine Lebon. Avec un Bruno Lemaire, ministre de l’Économie, qui a évoqué les "DOM-TOM", expression officiellement disparue depuis la réforme de 2003. Et une rapporteure du texte qui enflamma l’hémicycle avec son expression maladroite, "rupture d’égalité", pour refuser une hausse de la prime d’activité, là où les taux de chômage et de pauvreté battent des records. Colère, sentiment de mépris à la limite de l’insulte parmi les députés ultramarins. Sur les 27 députés ultramarins, seuls six ont voté Pour.

La colère sociale qui gronde

alerte le Polynésien Moetai Brotherson

Désormais, Jean-Philippe Nilor répète l’histoire de ces jeunes qui rêvent moins à la mère patrie "avec des étoiles dans les yeux", qu’à "l’amère patrie avec colère". Sans jamais la souhaiter et encore moins l’encourager, le Polynésien Moetai Brotherson alerte sur la "colère sociale qui gronde", tout comme le Réunionnais Jean-Hugues Ratenon qui craint "une explosion sociale", de même que le Martiniquais Jean-Philippe Nilor qui estime que "les prochaines déflagrations sociales seront mémorables, malheureusement".

Un sentiment de relégation

Élus chacun de leur territoire respectif, ils ne pensaient pas nouer de tels liens de proximité, en tout cas pas aussi vite, avec d’autres élus si éloignés géographiquement. Mais de frustration en sentiment de relégation, en l’espace d’un mois, les députés Nupes de la Polynésie française, de Guyane, de La Réunion, de Martinique et de Guadeloupe, ont décidé de parler d’une seule et même voix pour tenter de se faire entendre. "Ils ont réussi à nous unir", résumait l’un d’eux à l’issue d’une première conférence de presse commune, mercredi dernier.

Durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin s’est fait le chantre de la lutte contre le "séparatisme". Désormais également en charge des Outre-mer, il se retrouve face à un nombre inédit de députés ultramarins clairement indépendantistes ou favorables à davantage d’autonomie de gestion. Encore pire pour le gouvernement, c’est Moetai Brotherson, député indépendantiste de la Polynésie française, qui a toutes les chances de remporter la présidence de la Délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, ce lundi. Là aussi, ce serait inédit. Et les quelques députés Nupes ultramarins interrogés voient plutôt d’un bon œil le fait d’être représentés par un élu faisant montre de sérénité, d’expérience, et aussi connu pour porter la voix de Maohi nui, la Polynésie indépendante, face au représentant de la France, chaque année devant le comité de décolonisation de l’ONU, à New York.

Comme un symbole du fossé de défiance qui ne cesse de se creuser entre les Outre-mer et l’Hexagone.

Serge Massau - journaliste politique

Journaliste