A Madagascar, les espoirs simples d'une frondeuse de la Place du 13 mai

Manifestation du 1er mai à Tananarive
En dix jours, Felana Rahantanirina est devenue un pilier de la fronde de la Place du 13 mai. Tous les jours, cette jeune mère de famille malgache vient y crier sa colère contre le président Hery Rajaonarimampianina, accusé de tous les maux du pays.
"Je suis motivée parce qu'on est jeunes et on ne veut qu'une chose, c'est du travail", lance Felana Rahantanirina, "et puisque le gouvernement n'arrive pas à nous en donner, qu'il dégage !" Autour d'elle, des centaines de personnes se pressent sur l'emblématique place du centre de la capitale Antananarivo pour défier le régime et exiger la démission du chef de l'Etat.

Face à face meurtrier

Le 21 avril, de violents affrontements y ont opposé la police et des partisans de l'opposition qui défilaient, malgré l'interdiction, contre l'adoption de nouvelles lois électorales jugées partiales à sept mois à peine des scrutins présidentiel et législatifs. Le face-à-face fut meurtrier. Au moins deux morts et 16 blessés dans les rangs des protestataires, qui accusent l'armée et la police d'avoir ouvert le feu à balles réelles.

Policiers à Tananarive pendant la manifestation du 21 avril 2018

Corruption et pauvreté

Depuis, la Place du 13 mai ne se vide plus. A leurs inquiétudes sur d'éventuelles fraudes électorales, ses occupants ont ajouté d'autres récriminations contre le président Rajaonarimampianina. La corruption de son régime et, surtout, la pauvreté du pays. Selon les statistiques internationales, 90% de ses 25 millions d'habitants vivent avec moins de 2 euros par jour.

Boue et poussière

Felana Rahantanirina incarne à elle seule le dénuement de la population de la Grande Ile. A 29 ans, elle partage une pièce d'un mètre sur deux avec son mari et ses deux fils de 10 ans et 6 mois, dans le quartier d'Andranomanalina. Ici, à vingt minutes à peine du centre-ville, la poussière règne en maître lors de la saison sèche, la boue pendant celle des pluies. Pas d'eau courante, pas d'électricité et des toilettes communes qui débordent, à partager avec les voisins.

"On doit cotiser pour vidanger", explique la jeune femme, dont le sourire ne parvient pas à cacher la gêne. "Mais ici beaucoup sont au chômage, alors très peu peuvent cotiser".


A l'inverse de nombre de ses voisins, Felana a la chance de travailler. Deux matins par semaine, elle se lève à l'aube et file, son fils cadet sur le dos, jusqu'au lavoir du pont de Bekiraro. "Je gagne 5.000 ariary (1,5 euro) par jour et mon mari, qui est docker, gagne 5.000 à 6.000 ariary (1,5 à 2 euros) en moyenne", dit la lavandière, "on ne dépense pas tout car on doit faire des économies pour payer le loyer à la fin du mois".

Economies permanentes

Alors elle limite scrupuleusement ses dépenses à un peu moins de 1 euro par jour. Du riz, du charbon, des bougies et de l'eau, rien que l'indispensable. "On ne mange qu'une fois par jour, dans la soirée", confie la mère de famille. L'autre moitié du salaire mensuel du couple est mise de côté pour les médicaments en cas de problème de santé et pour payer l'école de son fils aîné.

Manger trois fois par jour

"Je veux un avenir meilleur pour mes enfants à travers leur éducation", proclame Felana. Lorsque le président Hery Rajaonarimampianina a remporté les élections en 2013, elle s'est prise à rêver. Après des années d'instabilité chronique et de troubles, elle a cru que la stabilité politique retrouvée du pays finirait par changer sa vie.

Prix du riz en hausse

Ses espoirs ont été déçus. Un exemple, le prix du riz, principale nourriture des Malgaches. En quatre ans, il a augmenté de 60% et se vend aujourd'hui 2.500 ariary le kilo. "Je trouve que la vie était meilleure pendant la transition dirigée par Andry Rajoelina", tranche Felana.