"Marronnage, l'art de briser ses chaînes" : entre traditions et réinterprétations, les identités bushinengués s'exposent à Paris

Ferfi tembe (Antoine Lamoraille, à gauche), pangui (Sherley Abakamofou) et photographies (Gerno Odang en haut, Nicolas Lo Calzo en bas).
La Maison de l'Amérique latine, à Paris, vient d'inaugurer l'exposition "Marronnage, l'art de briser ses chaînes", consacrée à l'art tembe. Une manière de raconter par l'esthétique l'histoire de ces populations descendantes d'esclaves et la réaffirmation de leurs identités multiples.

Un hochet cérémonial en bois, rapporté par Léon Gontran-Damas, fait face à des panguis aux couleurs vives, à des ferfi tembe peints sur des bâches publicitaires et à des photos contemporaines de la Guyane d'aujourd'hui. À la Maison de l'Amérique latine, dans le VIIe arrondissement de Paris, l'art marron s'expose loin des sentiers battus de l'ethnologie. "On voulait montrer que l'art existe depuis longtemps" chez les Bushinenge, explique Geneviève Wiels, réalisatrice de documentaires et commissaire de l'exposition "Marronnage, l'art de briser ses chaînes". 

Le beau existe déjà dans le quotidien, dans le koti tembe, la sculpture sur bois traditionnelle des neg marron, ces descendants d'esclaves installés dans l'Amazonie. C'était alors un peigne sculpté par un époux souhaitant s'assurer la fidélité de sa femme, un fronton de carbet qui représente les valeurs de l'homme qui y vit ou encore un pangui brodé avec soin par une femme. "C'était une façon de dire "tu ne trouveras pas mieux que moi"", précise la commissaire en riant. Avec Thomas Mouzard, co-commissaire de l'exposition, Geneviève Wiels a demandé aux artistes de réinterpréter ces objets traditionnels. 

Transmissions

"Ils ne servaient pas toujours parce qu'ils étaient fragiles", raconte Carlos Adaoudé, dit Kalyman, l'un d'entre eux. "J'ai toujours vu ma grand-mère avec ce peigne sculpté qu'elle sortait souvent pour le caresser, mais jamais pour se coiffer. C'était symbolique du souvenir de son premier mari." Lui a choisi de réaliser un fronton, peint de couleurs vives et chargé de symboles. 

L'artiste Carlos Adaoudé, dit Kalyman, devant un fronton réalisé pour l'exposition "Marronnage, l'art de briser ses chaînes" à Paris.


Au sous-sol du bel hôtel particulier où est nichée la Maison de l'Amérique latine, l'exposition se poursuit avec un rappel historique de ce que sont les marrons. Parmi les quelques pièces exposées, des reproductions inédites de photographies réalisées lors du voyage de l'écrivain André Scwharz-Bart le long du Maroni en 1960, le carnet de l'explorateur Paul Sangnier, mais aussi des écrits et des photos de Jean Hurault. Toutes font écho aux créations des artistes.

Mais dans leurs pièces, cette fois, ce sont eux qui racontent leur propre histoire, et pas seulement de génération en génération. "C'est notre culture et c'est à nous de nous l'approprier et de la vendre au monde entier", avance Ramon Ngwete. "C'est cool que des gens la racontent, mais avec notre histoire, notre vécu, c'est encore mieux." Il est photographe et a grandi dans le bidonville Saramaca de Kourou. 

"Le marronnage n'est jamais fini"

C'est là qu'il immortalise en noir et blanc des scènes du quotidien, à Kourou comme en pays Saramaca. En présence de ce visage connu, les masques tombent, les frontières s'effacent. C'est comme ça qu'il a pu saisir des instants intimes et précieux, comme le départ de sa famille en pirogue pour l'enterrement de sa propre mère. Les gestes et les expressions sont sans filtres, magnifiées par le noir et blanc.

Je veux montrer la vie comme elle est, belle, les visages des gens, la culture. Ne pas laisser les gens dans l'ignorance et les clichés.

Ramon Ngwete, photographe

Le photographe Ramn Ngwete devant l'une de ses photos à l'exposition "Marronnage, l'art de briser ses chaînes".

À côté de ses photos, celle d'un autre jeune talent, Gerno Odang. Lui aussi travaille le noir et blanc et fige le présent de la Guyane contemporaine, lourde de son passé, pour montrer comment les sociétés marron évoluent dans le monde occidental. 

Avec, en point d'orgue, les mouvements sociaux de 2017 sur le territoire, héritage d'une opposition perpétuelle à toute forme d'oppression. "Le marronnage n'est pas fixé à une période comme le colonialisme qui continue dans le temps", lance Gerno Odang. "Le combat n'a jamais fini, donc le marronnage n'a jamais fini". 

Ces formes sont des fragments de mémoire de nos ancêtres venus d'Afrique. La culture des noir marron de Guyane ne disparaît pas mais évolue.

Carlos Adaoué, dit Kalyman, artiste

Place aux "tembeoeman"

Aujourd'hui, le combat se féminise également et les femmes font de plus en plus porter leurs voix. Leur art devient vindicatif et sert à transmettre aux jeunes générations ces savoirs jusqu'à peu cantonnés à l'intime, à la maison. "Regardez, je suis à Paris et je ne porte que mes vêtements traditionnels, mis à l'européenne mais avec ma culture dedans", abonde fièrement Sherley Abakamofou en montrant son pangui brodé.

À côtés de ses études d'aide-soignante, la jeune femme de Saint-Jean-du-Maroni réalise des panguis brodés à la main, qui sont présentés dans un espace de l'exposition dédié au tembeoeman, les femmes artistes. Mais elle organise aussi des cérémonies traditionnelleset des ateliers pour transmettre les savoirs ancestraux. 

"Le but du jeu c'est de raconter avec nos mots cette culture orale qui risque de se perdre quand elle est racontée par quelqu'un d'autre", ajoute Ramon Ngwete. Une histoire à découvrir à la Maison de l'Amérique latine du 12 mai au 24 septembre. 

Toutes les informations pratiques par ici.