Martinique : poursuite des manifestations contre le non-lieu dans l'affaire du Chlordécone

Des manifestants se sont couchés au sol devant la Cour d'appel de Fort-de-France.
Un vent de colère enfle en Martinique depuis que le parquet de Paris a requis un non-lieu dans le dossier des plaintes pour l'empoisonnement des Antilles au chlordécone. Manifestants et élus évoquent un risque de "déni de justice".

Le pesticide toxique, autorisé en Martinique et en Guadeloupe jusqu'en 1993, sous dérogation, n'a été banni des Antilles que 15 ans après les alertes de l'Organisation mondiale de la santé. Depuis l'annonce des réquisitions le 25 novembre, manifestations et rassemblements se multiplient sur l'île.

Samedi, 800 personnes, selon la police, ont manifesté à Fort-de-France pour rejeter l'éventuel non-lieu. La même semaine, près de 200 s'étaient rassemblées pour une marche au flambeau.

Le parquet de Paris a notamment estimé que les faits dénoncés dès 2006 et 2007 par des associations guadeloupéennes et martiniquaises étaient prescrits ou non caractérisés. 

Des victimes similaires 

Cristiane Césaire, une ancienne ouvrière de vergers de bananiers, se confie à l'AFP sur sa situation : "Je suis guéri du cancer du sein et de l'utérus, mais je souffre encore beaucoup". Cette habitante du nord de l'île a perdu son père et ses deux frères, emportés par le cancer de la prostate. Son troisième frère est en cours de traitement pour cette même maladie. Et sa mère est décédée des suites d'un cancer du sein et cancer de l'utérus. 
"Avec mes parents, nous travaillions dans les champs de bananes à Basse-Pointe", raconte-t-elle à l'AFP. 

"Le patron ne nous donnait aucune protection, pas de gants, pas de bottes, et nos ongles, nos doigts, nos orteils étaient rongés".

Christiane Césaire, ancienne ouvrière de vergers de bananiers en Martinique

Une pluie de réactions

Qu'importent les opinions politiques lorsque la santé est évoquée. Les élus et les représentants politiques ont tous tenu à dénoncer le non-lieu requis dans l'affaire du Chlordécone.

Pour Philippe Pierre-Charles, "Tout ça est insupportable". Le porte-parole du collectif "Lyannaj pou dépolyé Matinik" rajoute à l'AFP que " L'Etat dit qu'il a une part de responsabilité, mais s'il a une part, c'est qu'il y a d'autres personnes qui ont leur part. Qui sont ces personnes? Il faut que la justice passe".

Autre idée pour l'avocat de l'association martiniquaise "Pour une Ecologie Urbaine" Louis Boutrin. Pour lui, la prescription soulevée par le parquet ne tient pas. Mais surtout, il dénonce ce qu'il appelle "une ruse" avec les lois de la République et le refus d'entendre quelques témoins, notamment des ouvriers et exploitants agricoles.

Dans un courrier officiel du 6 décembre, Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, a interpellé Emmanuel Macron face au risque de "déni de justice". Il a notamment souhaité des éclaircissements sur l'affaire. Il dénonce que "l'empoisonnement à la chlordécone fait partie de ces affaires, complexes et longues, mêlant responsabilités publiques et privées, recherche de la vérité et quête de la nécessaire réparation."

Aujourd'hui, certaines régions de Martinique et de Guadeloupe sont imprégnées de ce pesticide pour plusieurs siècles. Et ce n'est pas sans conséquences : selon un dernier rapport publié le 6 décembre par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), près de 90% des populations de Martinique et de Guadeloupe sont contaminées au chlordécone ; 14% des Guadeloupéens et 25% des Martiniquais présentent une chlordéconémie trop importante, soit un taux de chlordécone trop élevé dans le sang.

Les Antilles détiennent le triste record du taux de cancer de la prostate le plus élevé au monde. Depuis le 22 décembre 2021, il est reconnu comme maladie professionnelle, ouvrant la voie à une indemnisation pour les ouvriers agricoles.