Max-Auguste Dufrénot : "Le mode de relation autocentré vers une métropole est actuellement une aberration" [Interview]

Max-Auguste Dufrénot
Pharmacien et biologiste de formation, mais également engagé en politique, le Martiniquais Max-Auguste Dufrénot a publié "Réflexions d’un citoyen de la canne à sucre" aux éditions L’Harmattan. Un ouvrage qui oscille entre autobiographie et propositions concrètes pour l’épanouissement des Outre-mer.

Pharmacien, biologiste, docteur en biochimie et nutrition, le Martiniquais Max-Auguste Dufrénot a également exercé comme professeur des facultés de médecine et pharmacie en Afrique (il est membre fondateur de la faculté de médecine de Lomé au Togo) et en Haïti. En dépit de sa riche carrière, ce jeune ex-retraité septuagénaire a repris du service et continue de travailler comme biologiste dans le sud de la France.

Passionné par l’écriture, il a une demi-douzaine d’ouvrages à son actif, dont un sur Aimé Césaire, qu’il a bien connu. Son dernier livre, "Réflexions d’un citoyen de la canne à sucre" (éditions L’Harmattan), de près de 400 pages, fait la somme critique de sa vaste expérience. Il y parle de la Martinique, de la Caraïbe, de l’Afrique et de leur histoire, de la France et des pouvoirs coloniaux. L’homme de terrain qu’il est se mêle à l’observateur et au fin analyste de la chose politique. Dans cette optique, il fait toute une série de propositions très détaillées et argumentées visant à une transformation des cadres statutaires des territoires d’Outre-mer et de leur relation avec l’Hexagone. Toute personne intéréssée par ces questions devrait prendre le temps de lire ce document.

Vous avez vécu et travaillé dix-sept ans en Afrique, principalement au Togo, trois ans en Haïti, en Martinique, et treize ans dans l’Hexagone où vous résidez actuellement. Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre parcours et parmi toutes les anecdotes dont fourmille votre ouvrage ?
Max-Auguste Dufrénot :
Mon parcours de l'Afrique à Haïti et en Martinique m'a permis de bien définir mon identité qui n'est nie gauloise, ni spécifiquement africaine. Au bout de mon parcours je me définis clairement comme un Caribéen, afrodescendant, c'est à dire d'ancêtres exportés sur des territoires extra-africains mais ayant subi des influences culturelles occidentales, indiennes et amérindiennes ; mais j'ai pu constater que le lien qui unit tous les resssortissants de la Caraïbe est une épopée commune qui est la résistance des Africains réduits en esclavage, résistance que l'on note dans tous les territoires. J'ai pu constater également que les parlers dits créoles des Antilles suivent à 60 pour cent la syntaxe des langues gbe, langues de la Côte des esclaves du Togo et du Bénin. J'ai noté aussi que les Africains devraient écrire eux-mêmes leur histoire car elle n'est pas exacte, racontée par les Européens. Il y a eu effectivement des résistances à la traite dans beaucoup de villages de ces pays comme je l'ai signalé dans mon livre (Ahokpê, Adbodranfô au Togo et Dotoenou au Bénin).

Vous avez toujours été politiquement très engagé, sans compter d’analyser la relation particulière que la France entretient avec la Martinique et les Outre-mer en général. Comment vous situez-vous aujourd’hui, à la veille de l’échéance électorale de 2022 ?
À la veille des élections de 2022, j'ai bien peur que le regard sur les Outre-mer soit relégué au second plan. En effet la politique d'assimilation se perpétue dans le silence de la République ; des tensions gonflent dans ces territoires qui risquent d'exploser au visage des dirigeants, aussi bien des dirigents français que des élus assimilationnistes de fait des colonies. En toute logique je pense que seul un président jeune peut aborder les problèmes de l'Outre-mer avec les exigences de la réalité et de la modernité, et je ne vois personne d'autre parmi les candidats déclarés que Macron qui a montré une certaine ouverture d'esprit. Malheureusement il est encerclé par une troupe de vieux colons qui ont encore dans le coeur et l'esprit le soit-disant rôle civilisateur de la France. Nous proposerions à Macron notre projet pour l'Outre-mer qui ne ferait qu'établir des liens gagnant-gagnant entre la "métropole" et ces territoires devenant pays autonomes - autonomie politique - au sein de la République.
Je pense qu'il est temps que les dirigeants français regardent la réalité en face. La France est un pays multiculcurel, ne serait-ce que par la présence de territoires d'Outre-mer qui ont des cultures distinctes de celles de la France ; ces territoires sont habité par des peuples ; et la France doit faire comme tous les autres autres pays colonisateurs : reconnaître l'existence de ces peuples.

Il faut arrêter avec l'esprit colonial de vouloir enfermer tous les peuples dans un seul mouchoir. Ces peuples sont divers et spécifiques. D'autre part le mode de relation autocentré vers une métropole est actuellement une aberration. Il faut un mode de relation politique différent entre la France et chaque pays d'Outre-mer.  

Max-Auguste Dufrénot


Pouvez-vous résumer les grandes lignes de la voie que vous déclinez, dans votre livre, pour sortir la Martinique et les Outre-mer en général de leurs cadres statutaires, que vous critiquez sévèrement ?
D'abord il faut la reconnaissance des peuples d'Outre-mer, donc enlever l'alinéa 3 de l'article 72 ajouté par madame Brigitte Girardin sous la férule de Jacques Chirac. Ensuite il faut un statut d'autonomie politique à chacun de ces territoires qui demeureront constitutionnellement dans la République. Ainsi des compétences fondamentales à la survie du peuple seront attribuées aux territoires autonomes, comme l'éducation et la fiscalité ; il y aura la possibilité de passer des accords avec les pays de chaque région sans le gendarme français, pourvu que ces accords n'aillent pas à l'encontre des intérêts de la République. Les articles 73 et 74 de la Constitution sont des articles coloniaux, inadaptés à l'épanouissement de ces peuples. Une révision constitutionnelle s'impose donc pour changer le cadre de gestion de ces territoires.

Comment l’ex-professeur en faculté et biologiste que vous êtes juge-t-il la gestion de la crise sanitaire en Martinique en ce moment ?
En ce qui concerne la crise sanitaire aux Antilles, plusieurs facteurs l'ont favorisée : l'afflux de touristes déversés quotidiennement par neufs vols en juillet et août a libéré dans le pays des porteurs de virus, vaccinés ou pas. Les infrastructures de l'hôpital n'étaient pas adéquates, notamment sur le nombre de lits de réanimation. L'organisation même du réseau hospitalier est aberrante ; on a voulu le calquer sur la France en faisant des regroupements mais en fait on a privilégié la capitale au détriment des hôpitaux communaux du Marin, du Saint-Esprit, du François, etc. L'organisation sanitaire dans les îles devrait être basée sur la prévention et non le curatif. C'est ainsi que fonctionne la médecine à Cuba qui est un modèle loué par l'Organisation mondiale de la santé. Enfin la population n'a pas pris la crise au sérieux et le penchant à la fête a pris le dessus. Il y a beaucoup d'insouciance dans le peuple.