La mystérieuse opération "Wuambushu" aura-elle lieu ? Les interrogations s'amplifient autour d'une possible opération d'expulsions, de destructions de logements illégaux et d'arrestations à Mayotte, département français confronté à une délinquance galopante, sur fond de crise migratoire.
Mayotte connaît en effet "une délinquance hors-norme", comme l'a indiqué l'Insee en 2021 relevant notamment un taux trois fois plus élevé de vols que dans l'Hexagone. Une situation qui inquiète le président de la République, comme il l'a exprimé mi-mars à son homologue comorien, le colonel Azali Assoumani: "Le président de la République a aussi marqué son inquiétude s'agissant de la situation sociale et sécuritaire à Mayotte", selon un communiqué de l'Elysée.
Emmanuel Macron a validé en février en Conseil de défense l'opération "Wuambushu" qui signifie "reprise" en mahorais, pensée par Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, selon une source proche du dossier confirmant une information du Canard enchaîné.
Côté gouvernement, c'est officiellement le mutisme sur cette opération qui doit débuter le 20 avril, date de la fin du ramadan. Elle vise, selon l'hebdomadaire satirique, à multiplier le nombre d'expulsions, de destructions de logements illégaux et d'arrestations de délinquants, avec l'envoi en renfort d'un demi-millier de forces de l'ordre, ce qui doublera les effectifs sur place.
À Mayotte, l'opération est considérée comme actée par ceux appelés à la mener. Ils relèvent d'ailleurs l'arrivée samedi de véhicules d'intervention. "On les voit mal repartir sans avoir servi", confie une source policière. Le maigre parc hôtelier du département est également tout entier mobilisé.
Dans les rangs de la police, on s'inquiète plutôt pour "l'après", quand les renforts seront partis. L'opération doit durer trois mois, mais avec une "grosse phase du 20 au 30 avril".
D'ailleurs, "pour ceux qui parlent mahorais, Uwumbushu (tel que s'accordent à l'écrire les linguistes de l'île, NDLR) peut aussi être traduit comme s'aventurer dans l'inconnu", assure le conseiller départemental, Soula Said Souffou.
"Aggravation des fractures"
Des voix s'élèvent pour exprimer les craintes suscitées par une telle opération. Les personnels de santé de l'île ont ainsi rappelé, dans un communiqué, "les conséquences dramatiques" des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l'immigration. Le président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, Jean-Marie Burguburu, a également écrit à M. Darmanin pour l'exhorter à "renoncer" à ce projet, considérant le risque d'"aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé (...) et l'atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d'expulsions massives".
À l'inverse, des élus apportent ouvertement leur soutien. Le député LR Mansour Kamardine a ainsi appelé à ne pas voter la motion de censure contre le gouvernement la semaine dernière, car ça aurait été "reporter, à des dates inconnues, l'urgente opération Wuambushu du mois d'avril".
Cette opération s'annonce alors que l'île, où l'âge moyen est de 23 ans, est soumise à une démographie galopante - 350.000 habitants estimés contre 100.000 recensés par l'Insee en 1991 - due autant à une immigration clandestine venue des îles voisines des Comores qu'à une forte natalité. Pour répondre à cette crise, l'État, soutenu par la plupart des élus locaux, s'est lancé depuis 2018 dans une vaste opération de lutte contre l'immigration clandestine et a fait de cette thématique sa mission essentielle dans le département. Depuis, hors période de pandémie, 25.000 personnes en moyenne sont expulsées chaque année.
Pour ajouter à la poudrière, la moitié des jeunes sortent de l'école sans solution d'avenir faute de situation administrative régulière. Les vols violents, les cambriolages et les affrontements entre bandes forment le quotidien des habitants de l'île, sans que l'aide sociale à l'enfance ni la protection judiciaire de la jeunesse ne parviennent à endiguer le phénomène.
De quoi nourrir les tensions sociales et ancrer l'idée qu'une "part importante de la délinquance vient de personnes immigrées", comme l'a dit Gérald Darmanin au JDD en août dernier. Depuis, une poignée de militants radicaux locaux se sont ralliés à la cause du ministre et promettent de "faire le boulot" si le gouvernement tempère son projet de "décasages" en séries et d'expulsions massives.