À l'approche de l'opération Wuambushu à Mayotte, la politologue et spécialiste des Outre-mer Françoise Vergès dénonce "des problèmes profonds" auxquels est confronté le 101e département français.
Sur l'île, d'ores-et-déjà plusieurs unités d'élite ont été déployées. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a confirmé l'envoi de plus d'un millier de policiers et gendarmes, avec l'objectif de lutter contre la délinquance et l'immigration illégale.
Pour Françoise Vergès, la solution ne réside pas dans le déploiement massif des forces de l'ordre : "l’État français répond à des problèmes structurels qu’il a lui-même créés. J’entends Gérald Darmanin parler de criminalité parce que cette focalisation permet d’éviter tous les autres problèmes, expose la politologue réunionnaise. Quand il parle de relogement, il faut regarder les chiffres comme ceux de La Cimade qui montrent qu’il n’y a pas de relogement."
Selon la spécialiste, 80 % de la population vit en dessous du taux de pauvreté et 40 % des gens qui gagnent environ 160 euros par mois vivent dans les bangas, les bidonvilles de Mayotte. "Même les Mahorais y vivent", détaille-t-elle.
Des sociologues et des anthropologues ont montré qu’il y a des jeunes de nationalité française qui font partie de ces bandes de délinquants. On ne répond pas aux questions d’une jeunesse par la répression.
Françoise Vergès, politologue spécialiste des Outre-mer
Déni de droit
Cependant, Françoise Vergès ne réfute pas les "problèmes profonds" qui gangrènent l'île, mais "on n’y répond pas par cette expulsion massive !", dit-elle. "Encourager la stigmatisation des migrants qui seraient le fléau de l’île, c’est quand même un déni de droit. N’oublions pas que même le Conseil d’État en 2021 disait que l’État portait des atteintes graves et illégales au droit d’asile."
Pour elle, ce qui est en train de se produire à Mayotte est un "signe du gouvernement actuel". "On voit aussi en France [hexagonale, ndlr] des menaces sur les droits, la Ligue des droits de l'Homme alerte là-dessus. On voit une réponse à tous les problèmes structurels par une répression systématique", décline Françoise Vergès.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes, mais que la réponse est constamment la dissolution, la répression. Les droits ne sont pas respectés : il y a une violation du droit d’asile systématique à Mayotte. Pourquoi l’État français se permet de violer un droit qu’il a lui-même signé ?
Françoise Vergès, politologue spécialiste des Outre-mer
Françoise Vergès évoque la possibilité que le droit au relogement ne soit pas respecté, au vu des multiples expulsions annoncées. "Selon les associations locales, la question du relogement n’est pas du tout respectée, des gens ont été expulsés et ne sont toujours pas relogées", expose la spécialiste réunionnaise. On a des problèmes structurels très profonds auxquels il faut répondre en associant la population de l’île et ses migrants, en travaillant avec eux et non pas en les stigmatisant et en les traitant de criminels. L’État participe à cette stigmatisation."
Selon elle, il n'est pas impossible que la population de Mayotte réponde aux futures répressions par la violence. La politologue craint des affrontements dans les prochaines semaines : "Je pense que lorsqu’on provoque par un déploiement militaire si énorme sur une toute petite île, on annonce une réponse militarisée à une question sociale et économique profonde", termine Françoise Vergès.