Durant plus d'un mois, du 22 janvier au 29 février, Mayotte a été paralysée par des barrages à l'initiative des forces vives pour protester contre l'insécurité et l'immigration clandestine. Un mouvement qui aura eu son lot de conséquences sécuritaires et économiques. "Le combat des forces vives mahoraises", c'est le titre du magazine de Mayotte la 1ère, réalisé par Halda Halidi, pour retracer ce mouvement, de ses origines aux engagements obtenus à l’issue de la crise.
Le camp de la discorde
Le quartier de Cavani à Mamoudzou est en ébullition ce 14 janvier. Des migrants somaliens, arrivés la veille en kwassa-kwassa, sont en route pour rejoindre le camp du stade de Cavani. Les habitants se mobilisent pour leur barrer la route. "On n'a nulle part où dormir, pas de toilettes, on n'a rien", se désole un migrant. "On est décidé à les faire partir, on en peut plus, ils débarquent tous les jours", dénonce de l'autre côté une riveraine. Cette journée virera à l'affrontement entre les migrants et des jeunes, le reflet d'une crise profonde qui secoue Mayotte depuis plusieurs mois.
À l’origine de cette colère : des migrants africains de plus en plus nombreux depuis 2020 à camper dans les rues du quartier Cavani-Massimoni, autour de l'association Solidarité Mayotte. "Le soir, impossible de passer par là, car ils dorment sur la route", raconte une riveraine en juin 2023. "Il y a eu des menaces, c'est devenu incontrôlable." Durant l'année, plus de 3.000 demandes d'asile ont été déposées à l'Ofpra, dont 48% venaient de ressortissants de l'Afrique des Grands Lacs. L'année précédente, ils représentaient 25% des demandes.
La colère monte, les tentes se multiplient
L'association est submergée, les places d'hébergements sont toutes occupées. La population se sent prise en étau entre l'insalubrité et les affrontements entre migrants et délinquants. En août, les premières tentes font leur apparition dans l'enceinte du stade de Cavani. Elles deviendront le symbole de l'exaspération des habitants. Après le rejet en décembre par le tribunal administratif de la demande de démantèlement du camp, la situation s'envenime. Plusieurs centaines d'habitants se rassemblent le 21 janvier pour demander l'expulsion de ces migrants. L'un d'eux brandit un drapeau français. "C'est un manque de respect", peste une manifestante. "Ils nous montrent carrément que c'est l'État français qui les a laissés là."
Le collectif des citoyens de Mayotte 2018 rejoint le mouvement des habitants de Cavani et le combat s'étend au reste du département. L'entrée de la préfecture, du conseil départemental et des mairies sont cadenassées pour mettre la pression sur les autorités. L'État finira par répondre à la colère. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin annonce le démantèlement du camp.
Le début des barrages
Les opérations débutent une semaine plus tard, le 25 janvier. 77 migrants sont transférés dans des logements d'urgence, une quarantaine de réfugiés sont envoyés l'Hexagone. En parallèle, les arrivées se poursuivent sur les côtes mahoraises. Des rumeurs sur les réseaux sociaux circulent indiquant que des migrants seront pris en charge dans certains villages. En réaction, les habitants en barrent les accès. "On voit bien que la machine qui est mise en place ici ne permet pas à la préfecture de faire voyager ces personnes-là", dénonce un barragiste. "Qu'ils ne les distribuent pas sur le territoire, car là ils n'auront pas réglé le problème."
Après quelques jours de blocage, le préfet Thierry Suquet ordonne le démantèlement des barrages par la police et la gendarmerie. La pression monte d'un cran, les affrontements en barragistes et forces de l'ordre marque un tournant dans la crise. Les barrages refont surface et le dialogue se rompt. Ceux qui se feront ensuite connaître comme les forces vives refusent désormais d'échanger avec la préfecture.