"Dans les Outre-mer, des réseaux s'organisent, des armes circulent. Il y a des entreprises de narcotrafic extrêmement puissantes qui se livrent à la corruption", résume Jérôme Durain, le président de la commission d'enquête sur le narcotrafic qui touche autant l'Hexagone que les Outre-mer.
Dans un rapport publié et présenté mardi 14 mai 2024, en commission d'enquête du Sénat, les sénateurs Jérôme Durain (Socialiste, Écologique et Républicain) et Etienne Blanc, rapporteur de la commission (Les Républicains) ont exposé les 35 propositions phares pour lutter contre narcotrafic en France. Un "phénomène national" selon le rapporteur qui s'organise dans le monde entier, et notamment dans les Outre-mer où une attention sera "particulièrement portée".
Vers une "DEA à la française" contre les drogues en France
Saisies records de cocaïnes, apparition de nouvelles drogues de synthèse, consommation de cannabis et d'héroïne toujours élevée... Les parlementaires souhaitent mettre sur le devant de la scène cette multitude de sujets pour "enfin frapper les criminels au portefeuille" comme le rapporte la synthèse de la commission d'enquête.
Pour les députés, trois principales actions doivent être menées afin d'éradiquer le narcotrafic en France. La première repose sur la considération de l'organisation criminelle, synonyme de "menace pour les intérêts fondamentaux de la nation" où les députés appellent notamment à étendre les moyens de sécurité dans les Outre-mer, des "territoires sacrifiés par l'État" selon eux. De plus, les sénateurs appellent à déployer davantage de moyens dans les infrastructures portuaires et aéroportuaires.
La seconde action repose sur une focalisation spécifique sur le "haut du spectre" qui entend spécialement lutter contre le blanchiment d'argent, la multiplication des enquêtes patrimoniales ou encore la création d'une procédure qui amène à une confiscation sans condamnation pénale.
Enfin, le rapport entend aboutir à une "véritable DEA à la française" (l'agence fédérale américaine de lutte contre le trafic et la distribution de drogues, NDLR.). À travers cette idée, les parlementaires souhaitent créer une unité spéciale sur le terrain chargée de la lutte contre le narcotrafic qui met en relation la police, la gendarmerie et la douane. Ainsi, les parlementaires insistent pour la création d'un parquet national antistupéfiants pour spécialiser et incarner la lutte contre le narcotrafic dans la sphère judiciaire.
Les Outre-mer, les "zones de rebonds" du narcotrafic
L'un des aspects sur lequel se focalisent les députés membres de la commission demeure l'acheminement des drogues sur le territoire français. De ce fait, le rapport dresse un portrait des mouvements opérés, entre autres, de l'Amérique du sud à la France, où les stupéfiants circulent par la zone Antilles-Guyane.
Avec l’explosion simultanée de l’offre et de la demande, plus aucun territoire, plus aucune catégorie sociale ne sont épargnées. Les Outre-mer, victimes de leur situation géographique, sont particulièrement pénalisés.
Rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic en France
Le rapport pointe également la multiplication du trafic de cocaïne qui touche aujourd'hui les villes moyennes, voire petites, ainsi que les zones rurales. Le port du Havre et les Outre-mer (Guyane et Antilles), particulièrement touchés, mettent en lumière un nouveau défi auquel les autorités seront confrontées : la multiplication des voies de trafic.
Dès qu’une voie se ferme, une autre s’ouvre : comme un flot qui monte inexorablement, le trafic semble toujours trouver un moyen de s’infiltrer
Rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic en France
C'est pour cette raison que les parlementaires parlent dans leur rapport de "zones de rebonds" pour qualifier les Outre-mer vis-à-vis du narcotrafic. Utilisés comme des "portes vers l'Europe" par les trafiquants, les territoires ultramarins deviennent depuis plusieurs années de réels "lieux stratégiques de transit, de négoce et de stockage pour le cannabis et la cocaïne".
L'espace maritime des Outre-mer permet de transporter de grandes quantités de cocaïne à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l’Europe. Le vecteur aérien est également utilisé pour le transport de cocaïne vers la France, essentiellement par l’intermédiaire de passeurs également appelés les "mules".
Rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic en France
Les parlementaires insistent également sur la sécurité dans les Outre-mer, menacée par le narcotrafic. "Le narcotrafic en Outre-mer a des conséquences désastreuses sur la vie des habitants et sur le niveau global de sécurité dans ces territoires" avance le rapport. Selon les parlementaires, le lien entre le narcotrafic et la "délinquance connexe marquée par une violence exacerbée et des trafics d’armes" serait très étroit.
Une délinquance relevée par la sénatrice de la Martinique Catherine Conconne, membre de cette commission, qui appelle à ce que d'importants "moyens soient déployés" dans les Outre-mer et que "la justice se renforce" pour faire face aux "dégâts incommensurables" de la drogue sur les territoires ultramarins.