L’auteur livre dans son dernier roman un poème d'amour à sa terre natale tout en instillant une réflexion sur Mayotte et sa relation avec la République et détricote le tissu familial mahorais. Le tout sur fond de roman noir. Nassuf Djailani est l'invité de l'Oreille est hardie.
Tout commence par la découverte du corps d’une jeune femme par l’un des protagonistes. Nassuf Djailani a voulu donner à sa dernière production des airs de polar, de roman noir. Des airs seulement puisque l’auteur mahorais n’a pas non plus souhaité se cantonner à ce genre. C’est une forme hybride qui mêle tout ce qui fait sa personnalité : la fiction du romancier, les mots du poète voire même les considérations du journaliste qu’il est toujours, profondément.
Cela donne Cette morsure trop vive, histoire qui met en scène trois personnages principaux : Souleyman dit Soul, son frère Khamis et leur mère. Viennent s’ajouter Marina, jeune femme intrigante et un juge d’instruction, Bashir. Tout ce petit monde évolue à Mayotte ou plutôt dans une Mayotte que Nassuf Djailani veut à la fois rêvée et proche de celle qui existe. Mayotte et ce village de « Chiconi-sur-mer » sont d’ailleurs les autres personnages principaux du roman.
Mayotte, plus qu’une toile de fond...
L’obsession avouée pour le lieu, les lieux entraine ce regard acéré de Nassuf Djailani sur cette société mahoraise qu’il n’a de cesse de dépeindre livre après livre, que ce soit dans sa poésie, dans son théâtre ou comme ici dans son roman. Et il ne mâche pas ses mots pour expliquer que « cette morsure trop vive » est celle qui ronge petit à petit Mayotte, pour critiquer de façon sous-jacente le système judiciaire qu'il décrit âbimé par la corruption et l’incompétence ou pour dénoncer l’utilisation des fils, enfants des Outre-mer pour grossir les rangs des bataillons de l’armée présente sur les fronts du Mali ou de l’Afghanistan (Soul le personnage principal est de retour à Mayotte après avoir été blessé à Kaboul. Le personnage est d’ailleurs calqué sur un ancien engagé, cousin de Nassuf Djailani à qui il a souhaité rendre hommage.) mais aussi pour décrire les structures familiales mahoraises parfois défaillantes.
Enquête policière ? Journalistique ?
Pendant que l’on suit pas à pas la tentative de résolution du crime, que l’on s’attache à savoir si l’un des protagonistes est coupable ou non de ce meurtre, Nassuf Djailani expose en fait son vrai sujet : quel visage Mayotte montre-t-elle aujourd’hui, dix ans après la départementalisation de l’archipel ? Tout est sûrement allé trop vite, dit en filigrane l’écrivain-journaliste, ce qui a contribué à perdre sans doute les Mahorais, à les jeter dans une forme de confusion, tout à leur désir de France...
Une langue, des mots pour se perdre
Nassuf Djailani n’a pas peur que tous ces genres mêlés finissent par perdre justement ses lecteurs. « Je les rattrape au chapitre suivant... » dit-il en souriant dans l’Oreille est hardie. Tout de même, il arrive par moments que ce soient les personnages, si bien brossés au début du roman, qui en pâtissent et certains disparaissent un peu trop vite de notre champ de lecture, c’est dommage.
Mais reste la langue, cette langue joliment maniée par Nassuf Djailani qui nous offre tout au long du livre des passages de toute beauté ; des mots qui savent décrire les rues et les places animées des villages de Mayotte, les sentiments intérieurs, profonds et cachés qui agitent les personnages, archétypes de ceux qui vivent à Mayotte ; des mots qui savent aussi bien retranscrire la nostalgie liée à une chanson (« Blowin’ in the wind » de Bob Dylan, par exemple) que la frénésie d’une danse traditionnelle mahoraise, le chigoma. Notez aussi un très beau passage comprenant un poème en langue shibushi ...
Secouez le tout et dégustez Cette morsure trop vive de Nassuf Djailani ! Et pour écouter ce mordu de Mayotte et des mots, c’est dans l’Oreille est hardie et c’est par ICI.
ou par là :
« Cette morsure trop vive » de Nassuf Djailani, à paraître aux éditions Atelier des Nomades le 10 juin 2021.