Réduire les incompréhensions marquées qui séparent indépendantistes et loyalistes , faire bouger les lignes et relancer l’usine du Sud en lui apportant des garanties, telle est la volonté de l’Etat. En Nouvelle-Calédonie, c'est tout le secteur du nickel qui est fragilisé.
Les trois usines du Territoire sont, soit à l’arrêt soit au ralenti. Et de fortes pluies ont entravé l’activité minière. La situation préoccupe aussi le marché des matières premières, car la Nouvelle-Calédonie est le cinquième producteur mondial de nickel.
Les faits
La vente, par le géant minier brésilien Vale de son usine d’hydrométallurgie du nickel au sud de la Nouvelle-Calédonie, est l’enjeu d’un bras de fer et de deux stratégies industrielles qui opposent loyalistes et indépendantistes calédoniens. L’Etat joue les arbitres et s'efforce de consolider le projet de reprise du site industriel. La participation minoritaire du négociant Suisse Trafigura est toujours envisagée.
Et puis, il y a la situation difficile de la SLN, dont l’usine à Nouméa est la première productrice mondiale de nickel pour l’acier, mais tourne au ralenti, tout comme l'usine du Nord (KNS).
Une vague de violences et des dégradations ont suivi, en décembre, la confirmation par le géant minier brésilien Vale de la vente de son usine d’hydrométallurgie du nickel en province-Sud de la Nouvelle-Calédonie. Vale a choisi le consortium Prony Resources qui associe des intérêts calédoniens majoritaires au troisième négociant mondial de matières premières. Les indépendantistes s’y opposent et veulent une autre solution, sans Trafigura.
Pression et mobilisation
Pour faire pression sur l’Etat, des militants ont ralenti la production minière de la SLN, organisant la gestion de la pénurie, ce qui pénalise lourdement l'usine de Nouméa, dont les résultats s’amélioraient. La SLN est le symbole de l’industrie calédonienne. Née en 1880, elle fut à l’origine du développement de Nouméa et du Territoire, dans les conditions particulièrement dures de l’époque. Ce passé est révolu. La SLN, creuset d’une société calédonienne plurielle, est aujourd’hui détenue à 34 % par la Nouvelle-Calédonie. Dans la mémoire collective calédonienne, elle occupe une place comparable à Renault dans l’hexagone.
Situation préoccupante
"La situation de la SLN est extrêmement préoccupante", reconnaissait très récemment la direction du groupe français Eramet (dont l’Etat est actionnaire). L’entreprise, premier employeur du Territoire, est la victime collatérale du conflit lié à la vente et à la reprise de Vale Nouvelle-Calédonie (l'usine du Sud). Eramet n’exclut plus l’ouverture d’une procédure collective pour sa filiale calédonienne, alors qu’elle commençait à ressentir les effets positifs de son plan de sauvegarde. Le 14 janvier, des salariés de la SLN ont manifesté, réclamant "le droit de travailler".
Le collectif dénommé "Usine du Sud - Usine Pays" et l'Instance coutumière autochtone de négociations (Ican), émanations du FLNKS, sont en première ligne de la mobilisation indépendantiste contre la cession de l’usine du Sud et de sa ressource, la grande mine de nickel et de cobalt de Goro, en première ligne aussi des pressions assumées et exercées contre la SLN.
Deux groupes Suisses face à face
Le FLNKS dénonce et refuse la présence en Nouvelle-Calédonie d’un "prédateur capitaliste". Le négociant suisse Trafigura est visé. Il participe pour 25 % au consortium Prony Resources porté par la Province Sud (loyaliste). Il sera chargé de commercialiser le nickel auprès des producteurs de batteries pour les véhicules électriques.
Dans le nord du Territoire, les indépendantistes calédoniens sont associés à Glencore qui détient 49 % de leur "usine-pays" (l'usine du Nord) et commercialise le nickel du Koniambo. Les deux négociants suisses sont concurrents dans la bataille pour l'accès aux ressources en nickel. L'arrivée de Trafigura en Nouvelle-Calédonie ne fait pas forcément plaisir à Glencore...
Le business n'a pas de couleur politique
Parmi ses investissements internationaux, Trafigura est associé dans une coentreprise minière avec le gouvernement socialiste de Cuba. Il a investi dans une grande mine de nickel en Finlande, en partenariat avec le gouvernement social-démocrate finlandais. Une usine hydrométallurgique de nickel, destinée aux batteries des voitures électriques est en construction.
Nouvelle proposition ?
Leur premier partenaire financier, le conglomérat coréen Korea Zinc, ayant renoncé, les indépendantistes calédoniens ont annoncé préparer une nouvelle offre alternative, un nouveau montage qui porterait les intérêts calédoniens dans l’usine du Sud à hauteur de 100 %. Pour financer l’opération, des prêts de l’Etat seraient sollicités, les Provinces calédoniennes impliquées. Un nouveau partenaire industriel serait envisagé; il pourrait s'agir d'un important groupe chinois spécialisé dans l’hydrométallurgie du nickel. "Actuellement, la SMSC (les Provinces calédoniennes ndlr) a 5 %, c'est l'opportunité pour nous de faire d'abord une transition à 100 %. Et ensuite, de pouvoir proposer au futur partenaire industriel, qui va participer au projet, les 49 % restants", a indiqué Pierre Chanel Tutugoro, membre du bureau politique du FLNKS, à Nouvelle-Calédonie la 1ère. Les loyalistes calédoniens ont réagi et ont dénoncé une idée "abracadabrantesque, sortie du chapeau", selon la Présidente de la province Sud, Sonia Backès.
4 usines, 4 acteurs internationaux
Le minerai de nickel du Territoire est déjà exploité par quatre usines qui dépendent toutes de groupes multinationaux. Le plus ancien est le français Eramet qui détient encore la majorité de la SLN, aux côtés des trois provinces calédoniennes et de l’Etat. Les trois autres usines ont comme actionnaires, - le négociant et industriel suisse Glencore qui exploite l’usine du Nord (KNS) avec la Sofinor, société minière proche des indépendantistes -, le conglomérat coréen Posco qui exploite une usine en Corée du Sud avec du minerai calédonien, dans le cadre d’une coentreprise (NMC) toujours avec les indépendantistes, enfin le géant minier brésilien Vale, partenaire majoritaire de la province Sud, qui souhaite vendre sa grande usine hydrométallurgique de nickel et de cobalt.
Un consortium calédonien
Le repreneur choisi par Vale, le consortium Prony Resources, a volontairement choisi de limiter à 25 % la part du négociant Suisse Trafigura, quand elle est de 49 % pour son concurrent Glencore dans l’usine du Nord. "Il ne faut pas que les multinationales soient majoritaires, sinon elles pillent la ressource du pays", cette remarque d’André Dang, le PDG de la société minière des indépendantistes (Sofinor), l’un des deux stratèges avec Paul Néaoutyine de la stratégie nickel de la province Nord, est toujours d'actualité.
Mais, la présence de Glencore, d’Eramet, de Vale et peut-être demain de Trafigura assure aux usines calédoniennes outre la commercialisation du nickel, la garantie d’un apport d’argent frais, un soutien indispensable en cas de crise et de baisse des cours…
La France toujours en soutien
L’Etat pourrait entrer au capital de Prony Resources, ou faciliter des garanties bancaires pour permettre le redémarrage de l’usine du Sud. C’est le pari que fait Sébastien Lecornu. Le Ministre des Outre-mer suit le dossier de très près. Avec, pour horizon proche le troisième référendum sur l’indépendance, l'an prochain. Une mission parlementaire sur la Nouvelle-Calédonie, présidée par Gérard Larcher, le Président du Sénat doit entendre prochainement les différents acteurs de la filière nickel.
Résumé
les trois usines du Territoire ont de nombreux atouts, mais elles ne peuvent plus, pour le moment, les valoriser. Elles sont dans une impasse politique ou industrielle. Pour ajouter aux difficultés, de fortes pluies ont ralenti les exportations de minerai. La Nouvelle-Calédonie n'a pas profité de la hausse de 9 % du nickel depuis le début de l'année 2021. A 18.000 dollars la tonne, les usines du Territoire ont perdu, et vont encore perdre, plusieurs milliards de francs Pacifique.