Nickel : les enjeux de la sauvegarde de l’outil industriel calédonien [décryptage]

Usine du Sud (nickel et cobalt) Vale Nouvelle-Calédonie

Dans une allocution diffusée sur Nouvelle-Calédonie La 1ère, Sébastien Lecornu le Ministre des Outre-mer a adressé ses pensées aux salariés et aux sous-traitants de l’usine du Sud et de la SLN. Explications sur les enjeux et les parties en présence.

"L’usine du Sud" est un grand complexe industriel hydro métallurgique produisant du nickel et du cobalt de qualité batterie pour la transition énergétique et les véhicules électriques. Elle est nécessaire au programme européen "Airbus des batteries électriques" lancé par le président de la République, afin d’aboutir à une filière européenne de production. L’usine calédonienne répond aux normes environnementales les plus strictes fixées par la France, la Nouvelle-Calédonie et l’Union européenne. La croissance et l'indépendance du secteur européen des véhicules électriques dépendent en partie de la production calédonienne de nickel, aujourd'hui fragilisée.

Le contexte

Les installations de l’usine du Sud ont été partiellement détruites au mois de décembre par des émeutiers revendiquant une "Usine Pays" associée à un groupe coréen et à son offre fantôme, puis à un éventuel candidat chinois jamais apparu.

Cette offre était mise en avant par la Sofinor, le bras minier des indépendantistes calédoniens. Et depuis, la situation est bloquée malgré les efforts de l'Etat et du Ministre des Outre-mer pour trouver une solution qui permette au cinquième producteur mondial de nickel, la Nouvelle-Calédonie de s'en sortir.

Vale s'en va

L’offre acceptée par la multinationale brésilienne Vale, qui souhaite quitter le Territoire, en laissant près de 500 millions de dollars pour assurer la transition, est celle du consortium "Prony Resources" qui associe une majorité calédonienne à un actionnaire minoritaire, le négociant suisse Trafigura, chargé de vendre le produit de l’usine.

Outre-mer La 1ère a appris qu’au moins un grand fabricant de batteries de l’Europe du Nord envisagerait de rejoindre le consortium. Problème, suite aux destructions, l’usine est à l’arrêt et ne produit plus, tandis que les projets concurrents se multiplient en Indonésie, au Canada et en Finlande.

Prony Resources veut lui succéder

Courant novembre, une analyse de la direction des Finances de Bercy a rendu un avis favorable au projet calédonien "Prony Resources " agrégeant des intérêts calédoniens, à hauteur de 50 %, et internationaux. Pour le ministre des Outre-mer et Sonia Backès, la présidente de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, le consortium Prony Resources doit sauver l’usine du Sud et sa ressource, la grande mine de Goro.

Alors que le site industriel repartait de l’avant, avec un produit rare composé de nickel (NHC) recherché par l’industrie des batteries, son avenir est aujourd’hui compromis. Plus de 2000 emplois directs et indirects sont menacés de disparition. Un scénario catastrophe que veulent éviter l'Etat et la Province Sud où se trouve l'usine. Le Brésilien Vale pourrait en effet finir par annoncer la fermeture du site. 

" La paix n’est pas négociable " 

Dans cet épineux dossier du rachat de l’usine du Sud, Sébastien Lecornu a rappelé : "nous avons un, et seulement, un seul repreneur" avant de réaffirmer la position de l’Etat : "On ne peut pas brûler une usine, puis demander à l’État de la reprendre. On ne peut pas asphyxier la SLN (l’usine du groupe français Eramet ndlr) parce que l’État en est actionnaire, puis demander à l’État de reprendre l’usine du Sud."

La Société Le Nickel, plus ancien producteur mondial de ferronickel pour l’acier inoxydable, a vu sa production s’effondrer en décembre, après le blocage de ses sites miniers par des manifestants se réclamant de la cause indépendantiste, pour faire pression sur le dossier de l'usine du Sud. Et la situation perdure, alors que la SLN est lourdement endettée et n'a plus que quelques mois de trésorerie.

"Je suis prêt à discuter d’une implication plus forte de l’État"

"Parce que nous voulons tendre une dernière fois la main, je suis cependant prêt à faire une proposition nouvelle et forte. Je suis prêt à envisager ce qui, jusqu’ici, ne l’était pas. Je suis prêt à discuter d’une implication plus forte de l’État dans l’usine du Sud", a poursuivi Sébastien Lecornu. 

L'Etat pourrait donc, via une participation, entrer au capital du consortium calédonien Prony Ressources qui est le seul repreneur du grand complexe industriel calédonien de nickel et de cobalt. La participation du négociant suisse Trafigura (25%) pourrait, par ailleurs, être légèrement revue à la baisse, ce qui n’est pas sans risque pour la Nouvelle-Calédonie qui assumera majoritairement la gestion financière de l’usine.

Trafigura, un second investisseur Suisse en Nouvelle-Calédonie

Le trader de Genève a publié son rapport de responsabilité environnementale et sociétale. Il s'engage, tout comme son concurrent Glencore associé aux indépendantistres dans la gestion de l'usine de nickel du Nord (KNS Koniambo), à respecter les normes internationales en vigueur et à promouvoir transparence et responsabilité. Qualifié de "prédateur capitaliste" par ses opposants calédoniens, Trafigura possède pourtant une coentreprise minière et industrielle avec le gouvernement socialiste de Cuba, qui n’a pas vu les choses de la même façon.

Les deux conditions de l'Etat

L’engagement renforcé de la France se ferait sous deux conditions, a précisé Sébastien Lecornu. Premièrement, le retour des indépendantistes à la table des négociations : "Je ne peux pas discuter avec une chaise vide. Des rencontres bilatérales, avec les uns comme avec les autres, sont possibles pour préparer les discussions. Mais, quand il s’agit de décider, il ne peut y avoir de destin commun sans que tout le monde soit autour de la table".

Deuxièmement : "Si la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, la France se désengagera de l’usine du Sud. La proposition que je fais devra donc être assortie d’une clause résolutoire en ce sens."

Une situation alarmante

Conséquence de l’arrêt de l’usine du Sud, du blocage de l’approvisionnement de la SLN mais aussi des difficultés de l’usine du Nord, la production calédonienne de nickel a fortement chuté au mois de décembre, et janvier s’annonce tout aussi difficile. Dores et déjà, plus de 5000 tonnes d’équivalent métal auraient été perdues pour la Nouvelle-Calédonie, soit environ 100 millions d’euros, alors que les cours mondiaux du nickel ont atteint des sommets...