"Pouvons-nous faire autrement ?" En glissant leur vote en faveur de la censure du gouvernement mercredi soir à l'Assemblée nationale, les députés de la Guadeloupe Christian Baptiste et Elie Califer (Socialistes et apparentés) ont entraîné, avec 329 de leurs collègues, la chute de Michel Barnier. Du jamais vu depuis 1962. Et une plongée dans l'inconnu pour la France.
"Vos députés ultramarins ont tout fait pour éviter une telle crise", promettent-ils dans un communiqué commun publié quelques minutes après le renversement du gouvernement. Mais les discussions sur les budgets de l'année prochaine ont fini de creuser le fossé entre les parlementaires d'Outre-mer et le pouvoir. Sur 27 élus ultramarins à l'Assemblée nationale, 18 ont apporté leur voix à la motion de censure du Nouveau Front populaire (NFP).
Nous n'avions pas d'autre choix. (...) Quand je vois le comportement de ce gouvernement, qui préfère discuter avec son extrême droite et pas du tout discuter avec la gauche, alors qu'il y avait des propositions concrètes de faites (...), nous n'avions pas d'autre choix que de voter cette motion de censure.
Jiovanny William, député Socialistes et apparentés de Martinique
Instabilité
Face aux menaces de chaos et d'incertitude budgétaire et financière brandies par les partisans de Michel Barnier, la gauche et l'extrême droite répondent : "Pas de panique". "Cette motion de censure (…) n’est pas un élément de déstabilisation (...) mais bien un élément de responsabilité", assurait la députée de Martinique Béatrice Bellay, porte-parole du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée, mardi.
Pourtant, la situation est inédite. Cette peur de l'instabilité en a fait douter certains, qui ont préféré ne pas précipiter le gouvernement dans l'incertitude, alors que 2025 approche, et qu'aucun budget n'a encore été adopté par le Parlement.
C'est notamment le cas des députés du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, à l'instar d'Estelle Youssouffa (Mayotte) : "Même si je ne suis pas du tout satisfaite du gouvernement Barnier, de son inaction pour Mayotte, je ne pense pas que nous pouvons nous permettre de l'instabilité, de l'incertitude politique", assume-t-elle. Seul le Guadeloupéen Olivier Serva a rompu les rangs et voter en faveur de la censure.
Parmi les députés qui soutenaient le gouvernement de Michel Barnier, la pilule est plus dure à avaler. Le Calédonien Nicolas Metzdorf (Ensemble pour la République) regrette le flou qui marquera les prochaines semaines de la vie politique française. "La Nouvelle-Calédonie n'a pas besoin d'instabilité", dénonce-t-il, alors que le territoire a besoin du soutien de l'État pour lancer sa reconstruction.
Et maintenant ?
Que faire maintenant que Michel Barnier et ses ministres sont tombés ? Emmanuel Macron ne peut pas convoquer de nouvelles élections législatives avant la mi-2025, il doit donc faire avec la même Assemblée nationale, plus éclatée que jamais.
À gauche, certains appellent à la nomination d'un Premier ministre (ou une Première ministre) issue des rangs du Nouveau Front populaire. "Je pense que le pays a besoin d'une stabilité, qu'il a besoin d'une personne qui pourrait incarner des valeurs nouvelles, une rupture avec la politique d'Emmanuel Macron", estime Émeline K/Bidi, élue Gauche démocrate et républicaine (GDR) de La Réunion.
Les parlementaires considèrent que le chemin à prendre est celui du compromis, sans quoi le pays restera bloqué pendant des mois. Il faut "aller chercher les majorités texte par texte, amendement par amendement", estime l'élue réunionnaise. "On souhaite désormais que le président de la République et le Premier ministre d'après censure s'ouvrent au compromis et à l'échange démocratique pour une stabilité de la France et le développement des territoires ultramarins", disent en chœur Christian Baptiste et Elie Califer de la Guadeloupe.
Pourtant, la tache sera toute aussi rude si le chef de l'État venait à nommer un chef de gouvernement de gauche. L'Assemblée nationale est tellement morcelée qu'aucune majorité ne pourra assurer la longévité d'un futur gouvernement. Le député La France Insoumise (LFI) Perceval Gaillard (La Réunion) le disait déjà la veille du vote de la censure : "Même si nous serons en mesure d'appliquer notre programme pendant un mois, deux mois, trois mois, il y a de fortes chances que nous soyons aussi renversés. Et c'est le cas de l'ensemble des forces politiques."
Pour lui, "la seule solution (...), c'est une présidentielle anticipée". "Emmanuel Macron [doit] s'en aller", a immédiatement réclamé Mathilde Panot, la cheffe de file des élus LFI, après le vote de la motion de censure, mercredi. Le président, qui a toujours rejeté cette option, doit s'exprimer jeudi soir, à 20 h (heure de Paris). Il devrait annoncer les prochaines étapes de la très tourmentée vie politique française.