L'issue était inévitable. Depuis sa nomination à la tête du gouvernement, début septembre, Michel Barnier se savait en sursis, tant sa majorité au Parlement était bancale. Mercredi 4 décembre, en début de soirée, l'Assemblée nationale a décidé de mettre un terme à son mandat de Premier ministre en adoptant largement (331 voix) la motion de censure déposée par le Nouveau Front populaire (NFP).
Le sort de l'exécutif, dans la balance depuis sa formation il y a deux mois, s'est scellé lundi, après un énième rebondissement dans le vote des budgets pour l'année prochaine. Ce jour-là, les élus du Palais Bourbon devaient se prononcer définitivement sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais, avec le soutien de seulement 36 % des députés (Ensemble pour la République, MoDem, Horizons et Droite républicaine, soit 210 élus), le chef du gouvernement devait s'assurer de la non-censure du Rassemblement national (RN), fort de 140 parlementaires.
La survie du gouvernement dépendait ainsi des lignes rouges dictées par Marine Le Pen. Malgré les critiques, le Premier ministre a fait un geste envers elle et ses députés. Mais ce n'était pas suffisant pour le RN, qui voulait que le locataire de Matignon lâche du lest sur la désindexation des retraites sur l'inflation. Ce que n'a pas fait l'ancien commissaire européen. La cheffe de file de l'extrême droite était donc claire : elle et son groupe voteraient la censure en cas d'usage du 49.3. Ce qu'a fait Michel Barnier.
"Déstabilisation" contre "responsabilité"
Le dénouement de la pièce de théâtre qu'est la vie politique française depuis plusieurs semaines a donc eu lieu mercredi. Les deux extrémités de l'Assemblée nationale étaient chauffées à blanc, prêtes à faire chuter l'exécutif.
"Cette motion de censure rendra tout plus grave et plus difficile", a prévenu Michel Barnier, qui s'est exprimé dans l'Hémicycle en dernier. Une dernière tentative pour sauver sa peau. Mais la gauche et l'extrême droite ont démonté l'argumentaire gouvernemental du chaos à venir, assurant qu'aucun shutdown à l'américaine n'est à craindre. "Cette motion de censure (…) n’est pas un élément de déstabilisation, contrairement à ce que veut faire comprendre le gouvernement, mais bien un élément de responsabilité", assumait mardi Béatrice Bellay, députée de la Martinique et porte-parole du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée.
À la tribune, les représentants de chaque groupe politique ont pris la parole. Les uns pour sauver le soldat Barnier. Les autres pour sonner la fin de ce gouvernement. Personnage-clé dans ce dénouement politique qui rappelle les heures instables de la IVᵉ République, Marine Le Pen a même fustigé la politique du gouvernement en citant les territoires d'Outre-mer. "Vous n’avez pas pris la mesure de leur désespoir", a-t-elle clamé à l'adresse du Premier ministre.
L'hésitation de LIOT
Pendant 45 minutes, les parlementaires en faveur de la motion de censure ont glissé leur vote dans les urnes situées dans les salles voisines de l'Hémicycle. Sans grande surprise, les députés ultramarins ont voté en accord avec leurs groupes respectifs. À gauche et au RN, on a largement voté la censure. Au sein du socle commun, on s'y est opposé. Dans le petit groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT), seul Olivier Serva a voté la censure, les autres ayant préféré éviter l'instabilité politique liée à la chute du gouvernement.
La députée LIOT de Mayotte Estelle Youssouffa a d'ailleurs beaucoup hésité à voter la chute de Michel Barnier et de ses ministres. "On est quand même certains à être très tentés [de voter la censure] parce que le travail du gouvernement n’a pas été à la hauteur de nos attentes", glissait-elle au micro de France info avant le scrutin. Mais "on essaie d’être responsables, l’entrée dans une situation qui est extrêmement incertaine, ce n’est pas non plus ce dont nos territoires ont besoin".
L'exception Tjibaou
Les élus ultramarins du socle commun, soutiens du gouvernement, n'ont pour leur part pas souhaité le renverser, même s'ils avaient émis de nombreuses réserves lors des débats sur le budget 2025 de la mission Outre-mer, dont la baisse de 250 millions d'euros prévue initialement par Michel Barnier promettait d'être insoutenable dans les territoires éloignés de l'Hexagone. Mais l'annonce d'une évolution par le ministre du Budget Laurent Saint-Martin et les efforts du ministre des Outre-mer François-Noël Buffet pour limiter cette baisse les a rassurés.
Frantz Gumbs (député de Saint-Martin/Saint-Barthélemy), Moerani Frébault (Polynésie française) et Mikaele Seo (Wallis et Futuna) n'ont donc pas voté la censure du gouvernement de Michel Barnier. Tout comme le député loyaliste calédonien Nicolas Metzdorf, qui prédisait le chaos pour la Nouvelle-Calédonie en cas de chute de l'exécutif, alors que le Caillou a besoin du soutien de l'État pour se reconstruire. Heureusement, l'Assemblée a adopté, juste avant le vote de la motion de censure, le projet de loi de fin de gestion 2024, dans lequel les aides à la Nouvelle-Calédonie ont été inscrites.
L'autre parlementaire calédonien, Emmanuel Tjibaou (qui siège avec le groupe Gauche démocrate et républicaine), est la seule exception ultramarine dans ce vote crucial. Il n'avait pas signé le texte de la motion déposée lundi par le NFP et n'a pas non plus voté pour renverser le gouvernement mercredi, à rebours de ses camarades de gauche. "Je pense d'abord aux intérêts de mes compatriotes", justifiait-il sur le plateau de Nouvelle-Calédonie la 1ère, dimanche. Le député indépendantiste s'était montré satisfait de la nouvelle approche du gouvernement sur le dossier calédonien depuis la nomination de Michel Barnier.
Et maintenant ? Une période incertaine s'ouvre. Pour la première fois depuis 1962, le gouvernement français a été renversé par la représentation nationale. À l'époque, Charles de Gaulle et son Premier ministre, Georges Pompidou, avaient su rebondir grâce à de nouvelles élections législatives. Or, Emmanuel Macron, lui, a déjà joué la carte de la dissolution au mois de juin.
L'Assemblée nationale ne peut plus être dissoute (jusqu'en juin ou juillet de l'année prochaine). Le président devra donc nommer un nouveau Premier ministre (ou une nouvelle Première ministre) dans les prochains jours. Il prendra la parole jeudi soir, à 20 h (heure de Paris). Mais sans majorité claire et stable au Palais Bourbon, la manœuvre est plus que délicate. Une seule solution pour les oppositions : la démission d'Emmanuel Macron.