Le procès des attentats de janvier 2015 a enfin pu reprendre le 2 décembre après plusieurs reports dus à l'état de santé de l'un des accusés. Ce jeudi 3 décembre, les avocats de la famille de Clarissa Jean-Philippe, policière martiniquaise tuée à Montrouge, ont pu plaider, avec une grande émotion.
"Merci beaucoup", intervient sobrement le président de la cour d'assises spéciale à la fin de la plaidoirie de Me Sarah Aristide, l'une des avocates de la famille de Clarissa Jean-Philippe. La seule intervention de ce président depuis la reprise des plaidoiries ce jeudi 3 décembre au tribunal de Paris. Deux petits mots qui en disent en fait long sur l'émotion qui a rempli la salle à l'évocation de la policière martiniquaise assassinée à Montrouge le 8 janvier 2015.
En ouverture de sa plaidoirie, Me Sarah Aristide raconte à la première personne la vie de Clarissa Jean-Phlippe. "Je suis née en Martinique, l'île que l'on appelle l'île aux fleurs". La vie d'une jeune femme qui avait "un rêve" depuis "toute petite", celui d'être policière. Celui de protéger sa mère, "battue et humiliée".
Nous sommes le 8 janvier 2015. Elle a pratiquement réalisé son rêve. Elle est devenue policière. Sur sa route, un homme assoiffé de haine, de sang. Il est tôt, il est très tôt. Clarissa s'effondre sur le bitume. Elle va mourir. Coulibaly l'a tuée, il est trop tard pour elle, c'en est fini.
"Nous sommes tous Clarissa"
Quelques minutes plus tard, à la suite de sa consœur, Me Charles Nicolas racontera "[sa] France située à 7000 km", celle de Clarissa Jean-Philippe, "qui a découvert avec horreur les images de son exécution froide à Montrouge en janvier 2015". "Cette France de toutes les origines, de toutes les couleurs, de toutes les religions, multiculturelle qui s'étend bien au-delà de l'Hexagone et qui découvrait la violence, l'universalité de la haine du terrorisme", ajoutera-t-il. Le bâtonnier du barreau de Guadeloupe compare la haine des terroristes à un "esclavage de la terreur" et, dit-il, "nous les Ultramarins, nous connaissons bien la peur, la froideur et la déshumanisation qui l'accompagnent".
Ton parcours trop rapide sur Terre se sera achevé parce que tu servais ton pays et les trois principes essentiels de notre pays. La liberté pour laquelle bien d'autres sont tombés avant toi. Delgrès. Ignace. La mulâtresse Solitude. Toussaint Louverture. Autant de noms qui peut-être pour beaucoup résonnent, mais qui pour d'autres ne disent rien alors qu'ils nous ont forgés.
Pour Me Charles Nicolas, Clarissa Jean-Philippe était un symbole et il le lui dira, dans sa plaidoirie : "Clarissa, les symboles ne s'inventent pas, ils s'imposent à nous", avant de conclure : "Aujourd'hui alors que justice est en passe d'être rendue après cinq ans de procédure et trois mois de procès harassant, je peux dire avec détermination je suis, nous sommes tous Clarissa." Il a confié à Marie Boscher la force de ce symbole :
Me Charles Nicolas : "Nous sommes tous Clarissa"
Responsabilités
Ce jeudi dans le tribunal parisien, le symbole Clarissa est raconté pour que justice se fasse. Mais pour Me Aristide, les accusés n'ont adressé que "mépris" et "mensonge" aux victimes. Tour à tour, elle s'adresse à chacun d'eux dans les box de part et d'autre de la salle. "Coulibaly l'a tuée mais ils ont tous contribué, autant qu'ils sont, à ce qu'elle meure", clame-t-elle, affublant chacun d'une étiquette : "l'amuseur de service", "le commercial", "le pseudo-amnésique", "le camouflé puis démasqué", et même, "le Martiniquais", en référence à Christophe Raumel, unique accusé du procès à ne pas être jugé pour terrorisme. Certains semblent sourire sous leur masque, cherchent le regard de l'avocate, secouent la tête, quand d'autres baissent le regard.
Me Aristide, interrogée par Marie Boscher sur les responsabilités des accusés :
Me Sarah Aristide : "Tous ici ont contribué à la mort de Clarissa"
"Clarissa a été mise aux oubliettes"
Mais la justice doit aussi se faire autour du souvenir de la policière municipale qui, comme les blessés de cette funeste journée du 8 janvier 2015 à Montrouge (Hauts-de-Seine), a été éclipsée des mémoires par le fracas de l'attaque de Charlie Hebdo et de l'Hypercasher de la Porte de Vincennes. Deux journées qui ont marqué le début et la fin de l'épopée meurtrière d'Amedy Coulibaly.
"On a convoqué le président de la République monsieur François Hollande pour qu'il puisse voir comment ils ont oublié Clarissa", raconte Marie-Louisa Jean-Philippe, sa mère. "Et c'est ce jour-là qu'ils ont su que Clarissa existait".
Marie-Louisa Jean-Philippe : "Clarissa a été mise aux oubliettes"
Marie-Louisa Jean-Philippe a fait le voyage depuis la Martinique il y a trois mois et est restée en région parisienne tout le long des rebondissements de ce procès très particulier. Très affaiblie, par sa douleur, par deux cancers qui la rongent, elle confie l'importance pour elle de cette journée de plaidoirie. "C'est le jour où je vais commencer mon deuil", souffle-t-elle depuis le banc des parties civiles où elle est accompagnée par des membres de sa famille.
Mais les mots des avocats, emplis d'amour et chargés d'une émotion difficilement dissimulée, feront remonter la douleur. La mère de la policière respire difficilement, elle manque de s'évanouir mais elle tient bon. "C'était douloureux mais il le fallait", lâche-t-elle en sortant. "Il le fallait pour son bien".