Nouvelle-Calédonie : la jeunesse kanak aspire au renouvellement des élites et des idées

Jeunes kanak à Noumea, en octobre 2018.
Nombre de jeunes kanaks, en marge des sphères politiques, aspirent à un renouvellement des hommes et des idées indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, à la veille d'un référendum d'autodétermination historique le 4 novembre.
 
"J'ai vu de la lumière, mais je ne vais pas rentrer. Ils ne m'intéressent pas, je ne voterai pas le 4 novembre, je ne sais même pas si je suis inscrite", avoue désabusée Yvonne, jeune kanak du quartier populaire de Rivière Salée à Nouméa où se tient ce soir-là une réunion publique du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste). Dans la salle de sport, une poignée de leaders, la soixantaine bien sonnée pour la plupart, clament tour à tour que l'indépendance est "viable" et exhortent "le peuple kanak à se soulever" pour voter "OUI à la pleine souveraineté".
               

Fossé profond

A l'écoute mais sceptique, Annie en veut "aux aînés de venir parler des enjeux du référendum à la dernière minute et de ne pas avoir transmis l'histoire du pays". "On les voit au moment des campagnes mais sinon les élus ne parlent pas aux jeunes", regrette cette mère de famille, aux traits adolescents. Son témoignage reflète le fossé profond qui s'est creusé en Nouvelle-Calédonie entre les jeunes, qui n'ont pas connu les événements meurtriers des années 1980, et les cadres politiques.
               
Si le phénomène touche également la droite non indépendantiste, où les vieux briscards trustent les premières places, il est encore plus sensible chez les indépendantistes kanak où respect et humilité face aux anciens sont des valeurs traditionnelles cardinales.
 

Aux dernières élections législatives de 2017, moins d'un jeune de 18 à 25 ans sur 10 s'est rendu aux urnes dans le Grand Nouméa, selon Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique. Et à l'approche du référendum, les dirigeants kanak reconnaissent que le plus gros point noir est l'abstention, en moyenne autour de 40% dans leurs rangs.

                               
Depuis les accords de Matignon (1988) puis celui de Nouméa (1998), qui ont scellé la réconciliation entre Kanak indépendantistes et loyalistes "caldoches", une décolonisation progressive est en cours en Nouvelle-Calédonie et débouchera le 4 novembre sur un référendum d'autodétermination. "Nos leaders, qui ont mené la lutte, ont largement fait leur part. Mais, ils se sont précipités dans la gestion des institutions et ne se sont pas comportés en hommes d'Etat en se projetant, en offrant une vision. Du coup, on se retrouve devant le mur du référendum", déplore Wadéwi Washétine, ingénieur en bâtiment, fraîchement rentré de métropole.
               
"Il existe un génie calédonien, grâce à une jeunesse formée, porteuse d'innovation parce qu'elle est sortie du territoire et a cultivé une porosité culturelle, et aussi grâce aux jeunes qui sont restés ici. Il va falloir se mettre ensemble pour reconstruire le pays", affirme-t-il, "réaliste" sur le résultat du référendum, annoncé perdu par les indépendantistes.
               

Vivre-ensemble 

Alors que la formation des natifs est un des piliers de la décolonisation, Paul Fizin, premier kanak docteur en histoire, très actif pour "fédérer les énergies nouvelles", se désole que "beaucoup de jeunes kanak diplômés" retournent vivre en tribu, parce que "les portes ne s'ouvrent pas". Activiste de la première heure, après des d'études en métropole dont il était revenu imprégné des idéaux de mai 68, Elie Poigoune, 73 ans, fait partie de ces rares "vétérans" qui militent pour le rajeunissement des élites.

"Les politiques s'accrochent ! Mais de nombreux jeunes peuvent faire des choses extraordinaires, il faut les laisser s'exprimer, s'épanouir. Maintenant, le pays leur appartient", souligne M.Poigoune, président de la Ligue des droits de l'Homme. Il observe en outre "que les positions d'il y a 30 ans sont devenues rétrogrades et doivent s'adapter à la modernité". Car si le vivre-ensemble s'installe pas à pas entre les différentes communautés du Caillou, le paysage politique demeure lui sclérosé dans le carcan "indépendantistes/pro-français".