Emmanuel Macron arrive après deux jours en Australie, où il a dévoilé sa vision de l'axe Indo-Pacifique. Le 3 mai 2018, le président investi depuis presqu'un an pose le pied en Calédonie pour la première fois, avant d’en repartir le 5. Il est accompagné de la ministre des Outre-mer (Annick Girardin), celui de l’Education nationale (Jean-Yves Blanquer) et un certain Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire. Un déplacement officiel qui se veut placé sous le signe de la mémoire, de "l'histoire partagée" et de l’avenir à écrire en cette "année cruciale". Cinq ans après, qu'est-ce qu'on en retient ?
Il dit que "la France serait moins belle" sans la Calédonie
“La France ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie", déclare Emmanuel Macron en concluant son séjour par un discours solennel d'une cinquantaine de minutes, le 5 mai, à Nouméa, au théâtre de l'Île. "Car la Nouvelle-Calédonie n'a jamais manqué à la France. Au fond, la France a toujours été là aussi, avec la Nouvelle-Calédonie." Plus loin, il répète : "La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie, parce qu'elle est une part de cette France monde". "La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie, parce que la Nouvelle-Calédonie a apporté à toute la France des modèles pour les générations futures".
Ou encore : "avec les deux accords de Matignon et de Nouméa, avec les Comités des signataires, les institutions collégiales, le rééquilibrage, le consensus, les Calédoniens ont inventé un modèle exceptionnel d'intelligence collective qui suscite l'intérêt du monde entier (…) Sans la Nouvelle-Calédonie, décidément, la France ne serait pas la même." Les mots résonnent comme une prise de position, à six mois du premier référendum d'autodétermination envisagé par l'Accord de Nouméa, et prévu le 4 novembre suivant. Avec à la clé, l'indépendance, ou le maintien dans la République.
Il mentionne "la ségrégation des Kanak" et les "douleurs" du passé
Durant le même discours, le chef de l’Etat s’attarde sur les “racines”, “il faut mettre des mots sur ce passé lorsqu'il pèse comme un couvercle”. “Pendant la période coloniale, la France a souvent perdu le sens même de son histoire et de ses valeurs. Il y a eu des douleurs, des souffrances, des ségrégations, des déportations, des fautes et des crimes”, formule Emmanuel Macron, sans manquer d’ajouter : “Il y a eu aussi des grandes choses de faites, des constructions, des avancées, des engagées, car jamais l'histoire n'est univoque. Il y a les ombres, et il y a la lumière.”
Côté ombres, "jamais nous n'oublierons les douleurs de la colonisation avec la ségrégation des Kanak parce qu'ils étaient Kanak, sans terre, sans droit, sans service public, sans honneur, dit-il. La Nouvelle-Calédonie porte la mémoire de ces révoltes matées dans le sang et de ces divisions entre tribus organisées par le colonisateur pour mieux asservir chacun (…) Avec les premières lueurs que nous donne le recul de l’Histoire, oui, il faut le dire sans détour, le combat des Kanak pour retrouver leur dignité était juste."
Il insiste sur "l'addition d'histoires" et "l'alliance des mémoires"
Le président veille toutefois à mentionner longuement les “forçats” et “les pionniers”. Et puis “les missionnaires”, “les commerçants”, "les personnels militaires", “les ouvriers de mine”, ”les Pieds-Noirs", "les Européens de toutes origines venus chercher ici un avenir meilleur et une aventure humaine", ainsi que "toutes les femmes et les hommes venus du reste du Pacifique ou d'Asie construire une part de leur avenir”. Bref, la reconnaissance des différentes légitimités. De même, Emmanuel Macron passe en revue de grandes séquences du passé récent. Les tirailleurs, "le ralliement à la France libre dès 1940", le bataillon du Pacifique, ce qu'on a appelé les Evénements ("il y a plus de 30 ans, [la] peur a pris le dessus. La violence s’est invitée dans la vie quotidienne"). La poignée de main, les accords, leur héritage… Et de lancer un appel à l'unité et l'avenir.
Il va à Ouvéa à un moment délicat
Le 5 mai, date anniversaire d'un traumatisme, sur Ouvéa : l'assaut donné à la grotte de Gossanah où des gendarmes étaient détenus en otages, en 1988. Bilan humain, la mort de dix-neuf Kanak et de deux militaires. En 2018, on célèbre le trentième anniversaire de ce drame précédé par la tentative d'un groupe de militants indépendantistes d'occuper la brigade de Fayaoué, durant laquelle quatre gendarmes ont été tués, le 22 avril (décryptage à retrouver ici).
La venue attendue d'Emmanuel Macron, premier président français à s'y rendre, divise l'île d'Iaai. Elle est partagée, par exemple entre le Comité du 5 mai et le collectif de Gossanah. Surtout à l'idée qu'il se recueille sur le monument des "dix-neuf" à Hwadrilla. Les membres du collectif estiment que ce moment doit être le leur. Le jour J, des habitants du Nord se voient arrêtés par un barrage filtrant, une mesure de sécurité très mal vécue.
À la brigade de Fayaoué, le chef de l'Etat rend hommage aux victimes gendarmes et parachutistes.
Mais annonce en arrivant sur Ouvéa que dans le contexte de cette contestation, il ne déposera pas de couronne sur le monument des dix-neuf. À Hwadrilla, le dirigeant français s'exprime durant la coutume. Il se recueille aux côtés de Marie-Claude Tjibaou, à l'endroit où son mari et Yeiwéné Yeiwéné ont été assassinés le 4 mai 1989 par Djubelly Wea, qui a été ensuite tué. Il s'entretient à huis clos avec certaines familles des dix-neuf, les accompagne vers la cérémonie et demeure alors en retrait. Des moments de son déplacement empreints d'émotion (synthèse ici et résumé en images là).
Il plante un cocotier
L'arbre planté avec Ginette, on en a entendu parler, ces cinq dernières années. Dans la bouche d'Emmanuel Macron, mais pas seulement. L'image fait partie de celles qui sont restées. En mode quelque peu people, ou par le message qu'elle véhiculait (le pardon, la reconnaissance, la jeunesse). Le chef de l'Etat l'a utilisée comme une métaphore récurrente sur les lendemains à construire - durant son discours au théâtre de l'Île, puis au soir du premier référendum sur la pleine souveraineté le 4 novembre 2018, et encore après celui du 4 octobre 2020.
Le pied de cocotier, important dans la symbolique kanak, a été mis en terre le 5 mai à la tribu de Hwadrilla, avant la cérémonie au monument. Par le président accompagné de Ginette l'écolière, mais aussi avec un fils d'Alphonse Dianou. Lequel menait les preneurs d'otages trente ans plus tôt et a été abattu dans des conditions qui ont été dénoncées.
Du côté d'Ouvéa, on raconte que l'arbre n'a pas tenu.
Il transmet aux Calédoniens les actes de possession
Geste solennel avant le référendum, l’Etat transmet au gouvernement local les actes originaux qui marquent la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, sous Napoléon III. Ils sont ramenés depuis les Archives nationales d’Outre-mer, à Aix-en-Provence, et dévoilés au centre Tjibaou le 5 mai 2018. Le plus connu date du 24 septembre 1853, à Balade, alors que l’autre correspond au 29 septembre 1853, à l’île des Pins. “Parfois, pour les uns, cet acte a été la fin de tout. Pour d'autres, parfois, cet acte a été le début de tout, déclare le président de la République. C'est un moment. Il a déjà été dépassé. En décidant de remettre ces deux actes de possession, je voulais signifier (…) que nous ne sommes plus au temps de la possession. Nous sommes au temps des choix mais d’une prise de responsabilité collective."
Il est accueilli par une démonstration de force
Le 4 mai, une marche bleu blanc rouge réunit à Nouméa des milliers de non-indépendantistes - quatre mille selon les forces de l'ordre, dix mille d'après les organisateurs. Une déferlante tricolore encouragée par plusieurs partis loyalistes. Il s'agit d'interpeller le président, et les journalistes métropolitains, sur l'attachement d'une partie de la population à la France. Le programme de la visite a été jugé très orienté vers l'identité kanak, et on n'a pas oublié les propos d'Emmanuel Macron sur la colonisation. "C'est un crime. C'est un crime contre l'humanité", répondait le candidat d'En Marche en février 2017, lors d'un entretien à la télévision algérienne. "C'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face". De quoi susciter sur le Caillou la défiance des uns et les attentes des autres.
Il laisse une bonne impression générale
Prise d'armes place Bir-Hakeim et "bonjour" au Sénat coutumier. Dans le Nord, assemblée provinciale et lycée Michel-Rocard. L'ancien maire de Nouméa Jean Lèques fait grand officier de la Légion d'honneur, et une immersion éclair dans un quartier populaire… Trois jours très chargés et au bout, des commentaires positifs. Le numéro d'équilibriste semble réussi.