"Concrètement, des milliers d’enfants ont faim, ont soif, ne peuvent se laver, ne peuvent aller à l’école." Les mots d’Adeline Hazan, la présidente de l’UNICEF France, résument le constat alarmant dressé par son organisation à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant. Droit à l’eau, à l’éducation, à la santé, à la protection… Sur tous les plans, les enfants d’Outre-mer sont plus vulnérables que les autres.
Certaines problématiques sont partagées par la quasi-totalité des territoires ultramarins. C’est le cas de la pauvreté. 4 enfants sur 10 sont pauvres à La Réunion, 6 enfants sur 10 en Guyane, 8 sur 10 à Mayotte... Ils sont 2 sur 10 dans l’Hexagone. Or la pauvreté a un effet domino : un enfant pauvre est plus susceptible d’être mal logé, de ne pas être suivi par un médecin, de ne pas accéder à l’éducation ou de subir des violences.
Mal-logement, risque climatique et crise de l'eau
Autre enjeu commun à l’ensemble des territoires ultramarins : le risque climatique. "Quand il y a des catastrophes climatiques les écoles ferment. Aux Antilles, c’est près de 20% de jours d’école perdus dû aux évènements climatiques ou à la crise de l’eau", précise Mathilde Detrez, la coordinatrice du rapport de l’UNICEF.
Les attentes en matière d’effectivité des droits de l'enfant doivent être les mêmes partout, elles ne peuvent pas être à géométrie variable, à géographie variable.
Jodie Soret, responsable du service des programmes et du plaidoyer à l’UNICEF France
Les difficultés d’accès à un logement se retrouvent aussi dans l’ensemble des territoires. Selon la Fondation Abbé Pierre, près de 600 000 personnes sont mal logées dans les territoires d’Outre-mer. On compte 10 000 logements indignes en Polynésie, 25 000 logements en tôle en Nouvelle-Calédonie, 50 000 logements indignes à La Réunion… 21,6% de la population totale ultramarine vit sans eau chaude et 15% des habitants de Guyane n’ont pas accès à l’eau potable. Là aussi, le mal-logement entraîne des risques en cascade, notamment sanitaires et scolaires, pour les enfants. Un accès à l’eau réduit limite l’accès à l’éducation: parce que les établissements sont contraints de fermer et que les jours d’école sont rarement rattrapés d’une part, mais aussi parce que le manque d’hygiène peut faire honte aux enfants -et notamment aux jeunes filles réglées- qui refusent ensuite de se rendre en classe.
Freins à la scolarisation
Certaines problématiques sont plus spécifiques. C’est le cas de la migration à Mayotte, qui pèse très fortement sur le système scolaire et les infrastructures de santé, complètement dépassées. Non seulement les petits Mahorais n’ont accès à l’école que par rotation, à raison de demi-journées de classe, mais des freins à l’inscription, pourtant illégaux, persistent, notamment pour les enfants étrangers. Cette problématique a également été observée par l’UNICEF en Guyane.
De nombreux enfants déscolarisés passent sous les radars, car il n’existe pas de statistiques nationales sur la scolarisation des enfants. Néanmoins, en Guyane, on estime que le taux de scolarisation des enfants de 6 à 13 ans est pratiquement de 8 points inférieur à la moyenne nationale. À Mayotte, 5 300 à 9 500 enfants en âge d’être scolarisés ne le sont pas, selon une étude de l’Université Paris Nanterre.
Vous imaginez ? 10 000 enfants déscolarisés à Mayotte sur environ 350 000 habitants, c’est comme si en France métropolitaine, sur les 65 millions d’habitants, vous aviez deux à trois millions d’enfants déscolarisés.
Eric Delemar, le Défenseur des enfants auprès de la Défenseure des droits.
Par ailleurs, à Mayotte et en Guyane, il n’y a pas ou très peu de restauration scolaire. Seul un écolier mahorais sur cinq bénéficie d’un repas chaud. Dans la majorité des cas, une simple collation, qui constitue parfois l’unique repas de la journée, est proposée. "Concrètement, les enfants ont faim, ils ne peuvent pas étudier dans des conditions satisfaisantes", résume Mathilde Detrez.
Des violences plus fréquentes
"On s’est aussi rendu compte que dans les territoires d’Outre-mer les violences intrafamiliales, les violences faites aux enfants, étaient supérieures", poursuit la coordinatrice du rapport, qui tient à préciser qu’il n’y a "pas d’enjeu culturel" derrière cette question. Si les violences sont plus fréquentes dans les territoires ultramarins, c’est parce que plusieurs facteurs de risque s’y conjuguent. L’UNICEF cite pêle-mêle la précarité, la promiscuité des logements, les taux élevés d’addiction…
En 2022, selon le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, le taux de violences intrafamiliales s’élevait à 7,1 pour 1000 habitants en Nouvelle-Calédonie et 6,3 en Polynésie française, contre 2,7 dans l’Hexagone. Aux Antilles, près d’une fille sur dix a subi des violences sexuelles, et les associations estiment que 68 000 enfants sont des victimes potentielles de violences sexuelles à Mayotte.
"L’enjeu sur les violences, c’est que les signalements qui sont faits ne font pas toujours l’objet d’un traitement adapté, il n’y a pas toujours de mise à l’abri des enfants", explique Mathilde Detrez. Parce que les services de protection de l’enfance ultramarins manquent de moyens, les délais de prises en charge s’allongent et ne sont traités que les cas les plus extrêmes.
Une mortalité infantile jusqu’à deux fois plus élevée
La mortalité infantile est bien plus élevée dans les Outre-mer que dans l’Hexagone. Le taux de mortalité infantile est de 3,7 pour 1000 dans l’Hexagone, contre 6,7 à La Réunion, 7,2 en Martinique, environ 8 en Guyane et en Guadeloupe et jusqu’à 8,9 à Mayotte. Plus largement, "les indicateurs de santé des enfants sont plus défavorables en Outre-mer", indique l’UNICEF. Les causes sont multiples : pauvreté, mal-logement, systèmes de santé défaillants, crise de l’eau, non-recours aux soins, sous-nutrition….
Les rédacteurs du rapport déplorent le manque de chiffre concernant la santé mentale, tout en soulignant le caractère alarmant du taux de suicide chez les jeunes Guyanais, en particulier les jeunes Amérindiens.
Des violations des droits de l’enfant sous-estimés
Que ce soit en matière de violence, de santé, d'éducation ou de logement, les données manquent. "On a des estimations, mais on ne connaît pas les chiffres. Quand on ne connaît pas les chiffres, on ne peut pas mener de politiques adaptées", déplore Mathilde Detrez.
La collecte d’information est rendue particulièrement difficile par le millefeuille administratif que sont les Outre-mer : d’un territoire à l’autre, les compétences des collectivités ne sont pas les mêmes, et aucun organisme commun n’est chargé de l’enfance. Même si les acteurs investissent pour protéger les enfants, et plusieurs organismes sont chargés des mêmes dossiers, l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous. "L’État et les départements agissent comme un couple séparé, divorcé, qui ne se met pas d’accord et les enfants les plus vulnérables sont au milieu", résume Eric Delemar, le Défenseur des enfants auprès de la Défenseure des droits, qui milite pour une meilleure coordination des acteurs.
Le rapport de l’UNICEF sera remis dans les prochaines semaines au ministère des Outre-mer.