Pierre Ottino : "Les Marquises ont connu un cataclysme démographique et psychologique" #MaParole

Pierre Ottino dans #MaParole
C’est un peu notre Indiana Jones français. Aux Marquises, Pierre Ottino a découvert avec d’autres des sites archéologiques enfouis sous une végétation luxuriante. Ses recherches ont accompagné le mouvement de renouveau culturel marquisien. Son témoignage inédit est à écouter dans #MaParole.

Les Marquisiens ont bien failli disparaître de la surface de la Terre. Avant l’arrivée des Européens, ils étaient environ 100 000 à vivre dans cet archipel composé de 12 îles à 1500 km au nord de Tahiti. En 1920 après le passage des Espagnols, des Portugais, des Anglais, des Russes, des baleiniers et des Français (qui ont annexé les Marquises en 1842), les Marquisiens n’étaient plus que 2000. Des survivants qui avaient réussi à survivre aux maladies importées par les Européens. 

Aujourd’hui, on compte 9000 habitants dans l’archipel des Marquises. Alors pour un archéologue comme Pierre Ottino, c’est un terrain de recherche absolument incroyable. Ces 100 000 Marquisiens qui ont vécu dans le passé, ne sont pas restés inactifs. Au contraire, ils ont bâti des sites remarquables, sculpté des tiki splendides, fabriqué des herminettes et des hameçons utiles à leurs activités de menuiserie ou de pêche. Ils ont placé l’art du tatouage à son sommet.

#1 Un archéologue en devenir

Pierre Ottino, archéologue à l’Orstom, l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, l’ancêtre de l’IRD (l’Institut de recherche pour le développement) a participé de près à la mise en lumière de ce patrimoine exceptionnel. L’homme a vu le jour 1957 à Touggourt dans le Sahara algérien. Il se considère comme le fils fa’a’amu (adoptif en tahitien) de José Garanger, pionnier de l’archéologie en Océanie. Adolescent, Pierre Ottino a suivi ce beau-père, brillant et passionné, au Vanuatu et en Polynésie française.

Dans l’archipel du Vanuatu qui se trouve à 630 km au nord de la Nouvelle-Calédonie, José Garanger est connu pour avoir découvert à la fin des années 60, grâce aux récits de la population locale, la sépulture du chef Roy Mata. C’est un site qui figure aujourd’hui au patrimoine de l’Unesco.

Pierre Ottino a fait ses études à l’Institut d’art et d’archéologie de l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il a eu pour professeur José Garanger dont il appréciait beaucoup la manière d’envisager l’enseignement. Bon parfois, il était un peu "gêné d’avoir son père comme professeur". En 1981, il a été envoyé en tant que VAT (Volontaire civil à l’aide technique) à l’Orstom à Ua Pou, aux îles Marquises, où il a trouvé matière à sa thèse de troisième cycle d’ethnologie préhistorique. Ses travaux l’ont également mené en Nouvelle-Calédonie et à Wallis. Il a aussi participé à des fouilles en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Sa carrière était lancée et il a passé une grande partie de sa vie à chercher et restaurer des sites anciens.

#2 Des survivants

Son premier terrain d’exploration après ses études à la Sorbonne, a donc été l’île de Ua Pou, la troisième plus grande île de l’archipel, après Nuku Hiva et Hiva Oa. L’archipel des Marquises est composé de douze îles dont six sont habitées. Et Pierre Ottino les a largement explorées. En 1981, à Ua Pou il s’est intéressé aux esplanades en pierre, les paepae, aux outils comme les herminettes et plus largement à l’organisation sociale. "Les vallées étaient abondamment peuplées avant l’arrivée des Européens", raconte Pierre Ottino dans #MaParole. C’est pourquoi, de nombreux sites ont été érigés et après "le cataclysme démographique" causé par les épidémies, des plateformes de pierre ont été ensevelies sous une végétation abondante et luxuriante.

Selon l’explorateur anglais James Cook, il y avait environ 100 000 habitants en Marquises en 1774, 2084 selon Pierre Ottino en 1920 après les ravages causés par la variole, la grippe et autres maladies importées. Sans le métissage qui a contribué à renforcer leurs défenses immunitaires et le docteur Rollin envoyé de 1923 à 1928 par la France comme administrateur, les Marquisiens auraient bien pu disparaître.  

Alors, comme Indiana Jones, Pierre Ottino s’est ingénié à chercher des sites oubliés. Il a travaillé avec un coupe-coupe. Il a appris à naviguer en pirogue et à faire face aux cohortes de moustiques en se tapant régulièrement sur le dos, le torse et le visage ainsi que ceux de ses camarades de fouilles ! Avec son épouse, Marie-Noëlle, ethnologue, il a cherché à comprendre la vie des anciens marquisiens. Mais surtout, ils ont travaillé en étroite collaboration avec les Marquisiens.

Les premiers habitants des Marquises sont arrivés entre 600 et 800 après Jésus-Christ, "mais ce n’est pas impossible qu’ils soient arrivés avant", précise l’archéologue dans #MaParole. Avant l’arrivée des Européens, selon Pierre Ottino, la société marquisienne était organisée. "C’était une réussite sociale et humaine spectaculaire. Chacun avait son rôle et il y avait une bonne gestion des ressources". Il y avait parfois "des guerres ou plutôt des escarmouches". Mais, les habitants pourtant fort nombreux n’avaient pas besoin d’aide extérieure. Tout était produit localement. Et ils ont poussé l’art du tatouage, qui lui aussi a failli disparaître, à un niveau jamais égalé.

#3 La garante

Pendant longtemps, les Tahitiens ont vu les Marquisiens avec un peu de dédain. "Ils n’aimaient pas trop aller travailler là-bas" note l’archéologue pour qui Tahiti concentrait et concentre encore tous les pouvoirs. "Les Marquisiens ont dû s’affirmer" et ce n’était pas simple. A partir de 1987, ils ont commencé à organiser de grands festivals de culture et de danse rassemblant sur une île des habitants de tout l’archipel. Le premier s’est tenu à Ua Pou. En 1989, le deuxième festival a été lancé par "des sculpteurs de grand talent", selon Pierre Ottino. Et en prévision du festival de 1991, les autorités marquisiennes ont fait appel à des archéologues pour mettre en évidence des sites de Hiva Oa. Pierre Ottino et sa femme ont participé à cette belle entreprise.

Aujourd’hui à la retraite en Bourgogne, l’archéologue garde toujours un œil sur l'archipel des Marquises et sa demande d’inscription au patrimoine de l’Unesco qu’il soutient totalement. 

Dans ces îles éloignées, comme sans doute en bien d’autres endroits isolés ou dont les cultures ont été maltraitées par l’histoire, l’archéologie est une respiration. Ce souffle est une nécessité, autant culturelle qu’économique, assurant le lien entre passé, présent et avenir, tout en participant à la cohésion sociale et intergénérationnelle. Loin d’être un frein au développement, elle en serait plutôt la garante.

Pierre Ottino

Vue des îles Marquises en Polynésie

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♦♦ Pierre Ottino en 5 dates ♦♦♦

 13 juin 1957

Naissance à Touggourt (Algérie)

 1985

Thèse de doctorat à Paris la Sorbonne

 1990-1991

Restauration du site du tiki Takai’i (Hiva Oa)

 1999

Restauration du site de la vallée d’Hatiheu (site du festival des arts des Marquises pour le passage à l’an 2000) et de Taiohae (Nuku Hiva)

 2012

Moulage d’un tiki et pétroglyphe pour le musée d’Hatiheu (Nuku Hiva)