Elle a quitté Paris pour s’installer à Marseille. Peut-être un peu comme elle a quitté il y a quelques années sa Guadeloupe pour entreprendre ses études de théâtre dans l’Hexagone ? Sans doute pas tout à fait : il y a un monde entre la jeune étudiante qu’elle était alors et la jeune autrice de théâtre qu’elle devient (qu’elle est devenue !) et dont le travail se fait de plus en plus remarquer.
C’est là que mon nombril est enterré écrite par Béatrice Bienville parle de cet attachement intime à un territoire. Elle a été créée à partir de témoignages d’hommes, de femmes, avec leurs souvenirs et leur mémoire, avec leurs joies, leurs peines, leurs regrets d’avoir quitté le pays et de vivre dans l’Hexagone ou de ne pas y revenir assez souvent. Béatrice Bienville raconte comment est née sa pièce et se raconte - un peu - au passage dans L’Oreille est hardie :
"Une autrice métisse"
Née d'un métissage guadeloupe/Hexagone, Béatrice Bienville a vécu toute son enfance dans l’archipel. Une enfance joyeuse, dit-elle, qui a marqué à jamais son attachement à cette terre qui est sienne et à laquelle elle aussi appartient, quel que soit son lieu de vie. Mais comme d’autres, elle a quitté son Outre-mer pour l’Hexagone, pour y entreprendre des études de théâtre et devenir dramaturge. Départ totalement volontaire mais il n’empêche : comme d’autres, elle connaîtra plus tard la nostalgie de l’éloignement…
C’est là qu’est née la pièce
Le projet n’est pas né pièce de théâtre : à l’origine, c’est un documentaire qui devait voir le jour sous l’égide de l’une des amies de Béatrice Bienville. L’idée était de partir à la rencontre des Guadeloupéens pour les faire parler de cette Guadeloupe qu’ils ont quitté - en particulier celles et ceux qui l’ont quitté via le BUMIDOM, le bureau des migrations pour les originaires des Départements d’Outre-mer mis en place dans les années 60.
Le projet de film documentaire tombe à l’eau et Béatrice Bienville qui avait retranscrit toutes les rencontres, se retrouve avec un matériau précieux pour une dramaturge, elle-même concernée, impliquée voire partie prenante de cette question en tant que Guadeloupéenne, "exilée", métisse.
Dire la Guadeloupe au loin
La pièce raconte la Guadeloupe mais la Guadeloupe vue par les yeux de celles et ceux qui, un jour ou l’autre, l’ont quittée délibérément ou contraints par la situation (économique et sociale) et qui la vivent de loin. Une pièce tout en émotions et en réflexions avec une multitude de personnages de conditions et d’âges différents voire même de temporalités différentes.
Béatrice Bienville à travers le personnage principal Solange, rencontre, interroge ces « exilés » et intègre leurs témoignages mais n’en oublie pas la fiction pour autant. L’autrice fait intervenir d’autres personnages issus notamment de l’histoire de la Guadeloupe.
Solitude témoigne
Par exemple, le personnage de Solitude, figure des luttes anti-esclavagistes qui apparaît dans plusieurs scènes, hors du temps et de l’espace, pour mettre en relief, en perspective les propos des témoins de cet exil guadeloupéen. Comme pour montrer que ce dernier ajouté au sentiment d’arrachement que ressentent ceux partis vers la "Métropole" n’étaient pas dus au hasard et avaient leurs racines dans l’Histoire.
Écoutez L’Oreille est hardie
Et rencontrez l’autrice Beatrice Bienville à l’écriture tantôt enlevée tantôt maîtrisée. Déjà à la lecture, " C’est là que mon nombril est enterré" vous entraîne dans ce qui, au final, s’avère une quête et une enquête, à la recherche de vérités et d’identités et l’on est vite intrigué par la forme théâtrale que prendra ce récit sur scène : il faudra patienter un peu puisque le spectacle, à l’état de maquette, en est donc au stade de la production avant d’ici quelques temps de pouvoir assister en bonne et due forme à ses représentations.
Béatrice Bienville dans L'Oreille est hardie, c'est par ICI !
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"C’est là que mon nombril est enterré" de Béatrice Bienville est publié aux éditions Passages.