Pour la rencontrer, nous profitons de sa venue dans la capitale en réponse à l’invitation de la ville de Paris qui a mis Haïti et sa littérature à l’honneur en ce mois de mars 2023. En compagnie de plusieurs autres auteurs haïtiens, Évelyne Trouillot a tenu conférence, rencontré les amateurs de littérature haïtienne et parlé de son dernier roman.
Avec Les jumelles de la rue Nicolas, Évelyne Trouillot convoque pêle-mêle plusieurs thématiques : la gémellité, les croyances, l’éducation, la vie quotidienne en Haïti, la misère, l’exil, la violence faite aux femmes, l’absence des pères, les difficiles relations mère-fille, la sexualité, l’immigration… et d’autres encore. Le tout à travers la vie de ses deux héroïnes, deux sœurs, évoluant au gré des relations complexes qu’elles entretiennent avec leur mère et belle-mère (dure et omniprésente) et avec leur père (absent).
Écoutez Évelyne Trouillot raconter la création de son roman Les jumelles de la rue Nicolas dans L’Oreille est hardie :
Double peine
Évelyne Trouillot est opiniâtre : l'écriture de Les jumelles de la rue Nicolas lui aura pris quelques années. Un opus écrit en deux moments différents : un premier jet d’une cinquantaine de pages qu’elle reprendra et complètera quelques années plus tard, trouvant alors définitivement le chemin pour l’écrire comme elle le souhaitait. Un ouvrage remis plusieurs fois sur le métier mais qui se révèle à sa lecture un coup gagnant.
Coup double
Évelyne Trouillot a d’abord campé ses personnages : deux sœurs, deux demi-sœurs plus précisément, même père, mères différentes. L’une, Lorette, qu’Étienne - le père - a eu avec son épouse Rose-Marie ; l’autre, Claudette, qu’il a eue avec sa maîtresse bien plus jeune que lui. Les deux enfants naissent le même jour et se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Évelyne Trouillot raconte cette histoire en faisant parler, tour à tour, l’une et l’autre. Il lui fallait trouver un ton distinct, littéralement dédoubler son écriture et l’instaurer en miroir pour faire coexister ses deux "jumelles".
Les jumelles s’emmêlent
Si Claudette et Lorette se ressemblent étonnamment, pour autant, chacune se révèle très différente. Chacune a ses envies, ses aspirations, ses manières d’être et son histoire : l’une a perdu sa mère, est dite "illégitime" et cherche sa place ; l’autre, "légitime", ne veut suivre pas pour autant le chemin tracé par sa mère. L’une, brillante, n’ose pas rêver d’aller plus haut quand l’autre, promise au meilleur avenir, n’a pas les mêmes capacités que sa sœur…
Allers et retours
Sur ces apparentes contradictions, l’écrivaine haïtienne tisse un arc narratif fait d’allers-retours dans le temps et l’espace : de l’enfance des fillettes en Haïti (et leurs jeux où elles s’amusent à se prendre l’une pour l’autre) jusqu'à l’âge adulte à New York (et des jeux plus dangereux où la pièce d’identité joue un rôle décisif), il y aura plus d’une machination, opérées tantôt par les fausses jumelles et vraies complices dans l’adversité, que par leur entourage qui n’hésitera pas à se servir de la ressemblance des jeunes femmes ; machinations qui font les péripéties de ce roman.
Famille, je vous hais ?
Outre les fillettes qui disent "je" tout au long du récit, Évelyne Trouillot brosse les portraits de la famille qui entoure Lorette et Claudette. Rose-Marie, la mère de l’une, belle-mère de l’autre, se révèle méchante, voire cruelle ; Étienne, le père absent pour ses filles, tient paradoxalement dans leur vie une place prépondérante.
Et Évelyne Trouillot de dresser également les portraits d’autres membres de la famille, certains en Haïti, pétris de traditions et de croyances magico-religieuses, d’autres en exil désespéré à New York. L’autrice dépeint alors, toujours en arrière-fond, la réalité et la situation du pays Haïti et décoche de façon cinglante quelques critiques comme autant de tristes réalités à dénoncer…
Écoutez L’Oreille est hardie
Et suivez Évelyne Trouillot dans ce récit d’une double-vie, racontant avec une narration limpide et directe les soubresauts de deux vies abîmées par la volonté des autres avec, quand même, disons-le une lueur, une lumière d’espoir qui semble se dessiner en bout de bourse pour certains de ses personnages.
Car quoi qu’il arrive, l’autrice garde une vraie tendresse pour ses protagonistes qui lui importent plus au final que l’intrigue. Mais rassurez-vous : elle est agréable et captivante à suivre…
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Le roman "Les jumelles de la rue Nicolas" d’Évelyne Trouillot est paru aux éditions Project’îles.