“Le corps est un champ de guerre”, dit Daniely Francisque. Il s’y livre des batailles que bien des femmes perdent face à certains hommes qui n’ont que la violence à donner. Avec parfois la complicité indirecte des mères, trop habituées à ces agressions pour protéger convenablement leurs enfants.
Voilà quelques-uns des terribles constats que dresse Daniely Francisque dans L’Oreille est hardie. L’invitation lui est lancée après l’avoir vue jouer en Martinique son très impressionnant spectacle Moi, fardeau inhérent, sur un texte de l’écrivain haïtien Guy Régis Jr. Récit d’une mère qui attend le bourreau, l’homme qui a agressé sa fille, avec la ferme intention de ne plus le laisser faire. Un texte âpre, fort, direct, aux mots puissants et choisis qui frappent comme un coup de poing en pleine face.
Femme, artiste engagée
C’est à Limoges, capitale historique du Limousin (Grand Sud-Ouest de la France) que L’Oreille… rencontre la metteuse en scène et comédienne martiniquaise. Elle y est en résidence pour travailler à ses projets comme tout récemment ce texte, bien à elle cette fois, Matrices directement puisé à la source de sa vie. Car elle aussi a connu son lot d’agressions dans son adolescence et dans sa vie de femme. Faut-il aller chercher plus loin les raisons de son engagement profond dans la lutte contre les agressions faites aux femmes ?
Oui et non. Daniely Francisque est aussi une artiste. C’est aussi à ce titre et au titre de l’entêtement de l’artiste à dire le monde et dénoncer les malfaçons de ce monde qu’elle a entrepris ce chemin et cette mission.
Un cri et une mission
Moi, fardeau inhérent accomplit l’un et l’autre très bien : mise en scène sobre mais directe, interprétation à la fois contenue et tout en lâcher-prise, surtout au moment où Daniely se mue en agresseur, amenant le spectateur à un endroit du viol où il n’a surtout pas envie d’aller. Elle dit, elle crie toute la détermination de la mère qui refuse que les choses soient écrites comme elles le sont encore trop souvent. Elle montre le vrai visage de la violence de certains hommes sans pour autant leur prêter le sien : la mise en scène place alors la comédienne de dos au fond de la scène, ce qui rend encore plus puissant et bouleversant ce passage.
Comédienne, metteuse en scène.. et autrice
L’écriture, une autre part importante dans l’existence de Daniely Francisque. Un combat avec les mots, qu'elle s’encourage à poursuivre quand elle est au bord de toute laisser tomber. Mais tout comme pour se mettre en scène, elle n’hésite pas à s’entourer d'autres regards. Si le comédien et metteur en scène Nelson-Rafaëll Madel l’a assisté pour Moi, fardeau… et pour l’écriture de Matrices, c’est vers l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat qu’elle s’est tournée. Un compagnonnage entre artistes entrepris depuis trois ans.
Matrices à fleur de peau
Matrices touche aux cordes les plus sensibles de Daniely Francisque : sa propre histoire. Ses arrachements, les violences qu'elle a subies de ceux qui étaient censés l’aimer et la protéger, ses relations avec sa mère, tout y est raconté à travers trois voix, celles de trois personnages d’âges différents. Une jeune fille, une femme d’une quarantaine d’années et une femme entre 70 et 80 ans prennent chacune la parole, témoignent, et ce faisant, se répondent.
Encore une promesse de spectacle fort que Daniely Francisque a livré en lectures en Martinique et à Limoges notamment, en attendant le passage à la scène pour 2024.
Écoutez L’Oreille est hardie…
Et écoutez la parole de cette artiste qui ne mâche pas ses mots en parlant directement de viol ou d'inceste et qui avoue ne pas pouvoir faire autrement que d’aborder ce sujet des agressions faites aux femmes. Pour les femmes qui n’osent pas prendre la parole. Pour mettre ces sujets sur la place publique du débat. Et puis peut-être aussi pour elle-même.
Retrouvez Daniely Francisque dans L’Oreille est hardie, c’est par ICI !
Ou par là :
"Moi, fardeau inhérent" de Guy Régis Jr, interprété et mis en scène par Daniely Francisque continue de tourner. En septembre aux Etats-Unis et au Canada puis en Uruguay. Pour en savoir plus, c’est ici.