PODCAST. Le massacre de Hienghène en Nouvelle-Calédonie en 1984 [Archipels du crime]

Le massacre de Hienghène en Nouvelle-Calédonie
Le 5 décembre 1984, dix militants indépendantistes Kanak sont tués dans une embuscade à Hienghène, en Nouvelle-Calédonie. Les sept auteurs de ce massacre bien qu'ayant reconnu les faits, ont tous été acquittés. Retour sur ce drame méconnu dans "Archipels du crime", le podcast des faits divers qui ont marqué les Outre-mer.

Le 5 décembre 1984, dix militants indépendantistes de la tribu de Tiendanite étaient tués par balles dans une embuscade au lieu-dit de Wan'yaat. Parmi eux deux frères de Jean-Marie Tjibaou.

Ce nouvel épisode d'"Archipels du crime" revient sur le drame, l’un des plus sanglants de la décennie 80 dans cet archipel du Pacifique Sud. Il s’inscrit dans un contexte politique très particulier.

Un contexte politique sous haute tension 

Les Kanak, d'origine mélanésienne, occupaient le territoire avant l’arrivée des premiers Français en 1853. La Nouvelle-Calédonie devient une colonie pénitentiaire, une terre d’exploitation du nickel. Certaines tribus Kanak sont alors chassées et leurs terres redistribuées. 

Un siècle plus tard, les inégalités avec les Caldoches, les descendants de colons et de bagnards européens, perdurent. Les Kanak crient toujours à la spoliation. Dans les années 1970, le contexte économique est de plus en plus tendu avec notamment la fin du boom du nickel.

L'espoir renaît côté kanak, quand François Mitterrand est élu président de la République, le 10 mai 1981. Lorsqu’il était premier secrétaire du Parti socialiste, il avait promis l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie, qui compte alors près de 150 000 habitants. L'attente est donc très forte quand il accède aux plus hautes fonctions. 

Mais une fois au pouvoir, Mitterrand temporise et le climat social s'envenime. Dans les deux camps, on commence à compter les morts : un leader indépendantiste est mystérieusement abattu en 1981. Deux ans plus tard, deux gendarmes sont tués lors d'un affrontement avec des Kanak. Des élections territoriales doivent se tenir le 18 novembre 1984. Des barrages routiers sont érigés un peu partout dans l’archipel.

Les indépendantistes sont excédés par la lenteur des discussions sur la décolonisation qu’ils appellent de leurs vœux, ils incitent donc au boycott de ces élections. Des messages sont tagués sur les mairies. Le jour du scrutin, une image fera date : celle du militant Eloi Machoro détruisant une urne à coup de tamiok, une hache calédonienne.

Le massacre du 5 décembre 1984

Ce jour-là, après deux semaines de tensions particulièrement fortes, la confrontation entre les deux camps va être d'une immense violence. Le soir du 5 décembre 1984, 17 militants kanaks reviennent du centre culturel du village de Hienghène, à bord de deux camionnettes. Louis Tjibaou conduit la première, Vianney Tjibaou la deuxième.

Tous viennent de participer à une réunion avec des responsables indépendantistes. Ils ont reçu des consignes d’apaisement et un mot d’ordre : la levée des barrages routiers. Leur frère, Jean-Marie, aurait dû en être, mais il est resté à Nouméa. 

Les 17 hommes sont à bord de leurs véhicules, en chemin pour leur tribu de Tiendanite, située à une vingtaine de kilomètres. Ils n’arriveront jamais à destination. 

Au lieu-dit de Wan'yaat, un tronc de cocotier leur barre la route. Des tireurs sont positionnés en embuscade, une minute s’écoule en silence à se regarder en chien de faïence, puis un déluge de feu s’abat sur les Kanak. 

La fusillade fait dix morts. Les victimes sont âgées de 25 à 56 ans : Louis Tjibaou, le chef de la tribu, son frère, Tarcisse ; Michel, Similien et Antoine Couhia ; Mickaël et Eloi Maepas ; Pascal Mandjia ; Alphonse et Augustin Wathea. La tribu de Tiendanite, qui comptait huit familles, perd d'un coup la moitié de sa population masculine. 

Les premiers secours sur place ont du mal à identifier les corps car certains ont été abattus à bout portant. Sur un des cadavres, le médecin légiste relève 28 impacts de balles et de chevrotines.

Bourreaux et victimes étaient voisins, tous se connaissaient. Les meurtriers se sont rendus, ont reconnu les faits. Tous sont de modestes fermiers isolés de la vallée de Hienghène et tous sont métis, comme près de la moitié de la population calédonienne à l’époque.

Les auteurs de la tuerie acquittés

Le premier procès de Nouméa se conclut le 29 septembre 1986 par un non-lieu. Le 20 novembre, la cour d'appel renvoie devant les assises les sept accusés finalement acquittés le 29 octobre 1987, au titre de la légitime défense. La scène se déroule à Nouméa sous les applaudissements d'une grande partie du public.

Alors quand l’acquittement tombe, Jean-Marie Tjibaou commente froidement : "Cela veut dire qu'on peut abattre les Kanak comme des chiens et qu’il n’y a pas de justice en Nouvelle-Calédonie".

Nous sommes six mois avant les événements sanglants d'Ouvéa.

Wan'yaat, aujourd'hui

Trente ans et trois scrutins plus tard ​​- en 2018, 2020 et 2021 -, le "non" à l’indépendance l’a emporté mais les résultats demeurent contestés. Les pourparlers entre le gouvernement français et les autorités calédoniennes sont toujours en cours. 

Le massacre de Hienghène, lui, semble avoir un peu disparu de la mémoire nationale. Mais il ne se passe pas une année sans que les Kanak de Tiendanite ne commémorent les événements, en hommage à ceux qu’ils appellent affectueusement "les papas". 

La coutume dite "de pardon"– un rite kanak destiné à apaiser les tensions – n’a pas pu être faite entre les descendants des tueurs et ceux des victimes. Il faudra probablement plusieurs générations pour y parvenir. 

En attendant, près de la petite chapelle de Tiendanite, les dix tombes sont toujours fleuries. Et un mémorial a été érigé au lieu-dit de Wan'yaat. On peut encore y voir les épaves carbonisées des deux pick-up pris pour cibles et une stèle en marbre où l’on peut lire : "Fils de Kanaky, souviens-toi". 

Le massacre de Hienghène en Nouvelle-Calédonie un podcast écrit par Leia Santacroce et raconté par Rébecca Chaillon.
Réalisation : Karen Beun et Samuel Hirsch
Musique et sound-design : Samuel Hirsch
Production originale : Initialstudio avec la participation de France Télévisions
Durée 20 min - © 2023