Les mots ont leur importance et les maux qui y sont liés aussi. C’est pourquoi le chercheur met une attention particulière à employer les bonnes appellations pour ne pas ajouter au mal fait par l’Histoire ou par les sociétés. Et quand on parle des questions de genre, il faut savoir marcher sur des œufs.
Par exemple, prenez le mot transgenre, il n’est pas tout à fait exact pour désigner les fameux mahu ou Rae Rae de Polynésie à qui l’anthropologue Serge Tcherkézoff consacre une partie de son dernier ouvrage Vous avez dit troisième sexe ? - et sous-titré Les transgenres polynésiens et le mythe occidental de l’homosexualité. Un titre avec un point d’interrogation très important, comme le souligne justement l’auteur tout au long du podcast L’Oreille est hardie :
L’histoire d’un genre, un genre dans l’Histoire ?
Serge Tcherkézoff - anthropologue et co-fondateur du CREDO, le Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie - mène dans son ouvrage un travail minutieux basé à la fois sur des travaux sociologiques précédents et sur des documents historiques.
Les premières apparitions du mot mahu (mahoo) datent des expéditions de Cook au XVIIIème siècle, décrivaient déjà ces hommes aux allures et comportements plus féminins que les autres. Et déjà dans le fantasme masculin occidental, on se prend à dénoter - puis par la suite extrapoler - un caractère sexuel que cacheraient ces atours.
Transgenre = homosexualité ?
L’homosexualité supposée des mahus sera des décennies plus tard systématiquement accolée à ces « hommes-femmes » sans que rien ne le prouve. Jusqu’au XXème siècle, en raison de l’ambiguïté de ce nouveau « genre », à des époques successives où l’on n’en reconnaissait que deux, le genre masculin et/ou le genre féminin, une troisième voie (voix ?) semblait toute trouvée : le fameux troisième sexe. Sans qu’aucun des intéressés ne se retrouvent vraiment dans cette appellation-là…
Mahu vs raerae ?
Puis apparaîtra dans les années 60, le mot raerae en Polynésie du moins, à Papeete, avec l’avènement et le développement du tourisme. Là encore, à ce mot sera affectée toute une batterie de nouvelles images systématiquement collées à ces hommes féminins : celle de la prostitution notamment. Créant au passage une sorte de dissension entre les dénominations : le mahu qui serait porteur d’une forme de tradition admise communément en Polynésie et le raerae, sa version urbaine, qui serait plus porté vers les plaisirs tarifés de la chair. Une simplification voire une caricature qui a la vie dure dans l’imaginaire occidental, aujourd’hui encore.
Écoutez L’Oreille est hardie…
Dans « Vous avez dit troisième sexe ?… », Serge Tcherkézoff démontre et démonte les mythes non seulement pour la Polynésie mais aussi pour l’ensemble du Pacifique (avec un chapitre consacré aux îles Samoa, lieu d’études particulier pour l’auteur). Une thématique délicate, particulièrement intéressante à suivre et à écouter, avec Serge Tcherkézoff dans L’Oreille est hardie : c’est par ICI !
Ou par là :
"Vous avez dit troisième sexe ? Les transgenres polynésiens et le mythe occidental de l’homosexualité" de Serge Tcherkézoff est paru aux éditions Au Vent des Îles.