Polynésie : les enjeux du second tour des élections territoriales 2023

Territoriales 2023 Dépouillement
Dimanche, les électeurs polynésiens sont appelés aux urnes pour renouveler l'Assemblée de Polynésie française pour les cinq prochaines années. Deux listes autonomistes et une liste indépendantiste s'affrontent pour obtenir la majorité et décrocher la présidence du territoire.

Les élections territoriales polynésiennes auront apporté leur lot de surprises. Dimanche 30 avril, les électeurs doivent décider du dénouement de cette séquence électorale en départageant les trois listes qui se sont qualifiées le 14 avril pour le second tour du scrutin : le Tavini huiraatira (indépendantiste, qui a obtenu 34,90 % des voix au premier tour), le Tapura huiraatira (autonomiste, 30,46 %) et le A here ia Porinetia (autonomiste, 14,53 %).

Invité sur Polynésie La 1ère pour décrypter les enjeux de ce second tour, le politologue et grand spécialiste de la politique polynésienne, Sémir Al Wardi, a résumé ces deux dernières semaines de campagne : "J'ai trouvé qu'on était beaucoup plus avec un clivage, d'un côté, des peurs, que l'on crée, et de l'autre, des rejets, qu'on a suscités."

L'alliance Fritch-Flosse pour sauver l'autonomisme

La peur vient du camp du président sortant, Édouard Fritch. Car, pour lui, les enjeux du second tour sont énormes. Candidat à sa propre succession pour le compte du Tapura huiraatira, sa liste n'est arrivée qu'en deuxième position lors du premier tour des Territoriales, le 14 avril. S'il perd, il devra rendre les clés du pouvoir. Et ce seront certainement les indépendantistes, ses ennemis politiques, qu'il verra s'installer à Papeete.

Mais Édouard Fritch n'est pas fataliste et s'est résolu au compromis. Dans l'entre-deux-tours, il a surpris tout le monde en annonçant une fusion de sa liste avec celle de Gaston Flosse, le Amuitahiraa o te nuna'a Maohi (11,88 % au premier tour). Anciens alliés, les deux hommes étaient devenus ennemis jurés depuis leur séparation en 2016. Édouard Fritch avait alors volé le monopole de l'autonomisme à Gaston Flosse en créant son propre parti, le Tapura.

"Gaston Flosse est quelqu'un qui a une approche stratégique de la politique. Il sait compter ses voix. Il sait très bien que, alors qu'il est perdant, il est devenu le médiateur des autonomistes", analyse Sémir Al Wardi. Dans l'accord Fritch-Flosse, le Tapura a accepté d'intégrer quatre candidats du Amuitahiraa o te nuna'a Maohi pour le second tour. Le président sortant a par ailleurs promis de baisser sa très controversée taxe sociale de 1 % à 0,5 %.

Gaston Flosse et Edouard Fritch


Désormais partenaires, les deux hommes n'ont eu de cesse d'agiter le chiffon rouge de l'indépendance lors de cette campagne du second tour, pour espérer convaincre les autonomistes des autres partis de leur apporter leurs voix. Mais la présence du parti A here ia Porinetia, lui aussi autonomiste, dans cette triangulaire inédite, pourrait desservir le duo Édouard Fritch-Gaston Flosse en éparpillant les voix des partisans de l'autonomie.

Les indépendantistes veulent rassurer en reportant l'indépendance

De l'autre côté du spectre politique, le Tavini huiraatira, d'Oscar Temaru, a joué, lui, la carte de la modération. Acteur historique de l'indépendantisme polynésien, le Tavini a davantage parié sur le rejet de l'autonomisme version Fritch que sur l'organisation d'un référendum d'autodétermination dans les prochaines années.

Moetai Brotherson, député de Polynésie et candidat de son parti pour prendre la présidence du territoire en cas de victoire, a martelé pendant cet entre-deux-tours que l'indépendance n'était pas l'objectif du prochain mandat. Un moyen de désamorcer l'argument principal des autonomistes, qui jouent sur la peur et l'incertitude que créerait une possible indépendance polynésienne.

Oscar Temaru


Les bleus se sont donc concentrés sur les problèmes socio-économiques du territoire, où une grande partie de la population vit sous le seuil de pauvreté, alors même que le RSA n'existe pas en Polynésie.

Pour autant, le soir du premier tour, Sémir Al Wardi soulignait le discours ambigu du Tavini"Autant le Tapura veut jouer sur une séparation stricte entre autonomistes et indépendantistes, autant le Tavini n'arrive pas à avoir une position claire sur : 'est-ce qu'on reste sur un problème qui relève que du socio-économique, ou alors, on garde évidemment les fondamentaux, mais des fondamentaux un peu rapides, puisqu'il s'agirait d'aller très rapidement devant l'ONU [pour entamer un processus de décolonisation] ?'". Au sein même du parti d'Oscar Temaru, certains rejettent l'approche modérée et demandent le lancement d'une procédure de décolonisation.

La place de la France dans l'Indopacifique

L'autre enjeu de ce scrutin concerne le pouvoir français à Paris. "Au-delà des élections, la France a tout à fait intérêt à s'entendre avec le nouveau gouvernement de la Polynésie", estime Sémir Al Wardi. 

La France est le seul État européen à être dans l'Indopacifique et à pouvoir discuter avec les grands de ce monde grâce à ses territoires [d'Outre-mer], qui vont de Mayotte jusqu'en Polynésie française. La France a intérêt à être indiscutée et indiscutable sur ces territoires pour pouvoir assumer sa puissance mondiale.

Sémir Al Wardi, sur Polynésie La 1ère

Si les indépendantistes, alliés au niveau national aux parlementaires de la Nupes, l'emportent dimanche soir (lundi matin, heure de Paris), Emmanuel Macron devra s'efforcer à promouvoir un dialogue constructif avec Moetai Brotherson et le Tavini. Et pourquoi pas faire des gestes en direction des Polynésiens (sur les dédommagements des conséquences sanitaires liées aux essais nucléaires, par exemple).