James Paris n'aime pas montrer ses yeux. Il reste caché derrière de grosses lunettes de soleil noires, incognito. Le jeune étudiant en stylisme et modélisme a des airs de Karl Lagerfeld : mystérieux, sombrement (mais élégamment) vêtu et impénétrable.
Dans les locaux de son école de stylisme, IBSM Mode & Marketing de Bordeaux, il nous présente une de ses créations, une robe cayennaise, qui sera la star de son défilé de fin d'année le soir même. "J'ai interprété un madras en perles de verre", décrit-il, en montrant l'habit posé délicatement sur un mannequin. 22.000 perles venues du Brésil. Broderie anglaise. Trois mois de travail. Cette robe en hommage à la Guyane, son département d'accueil, fait partie des quatre vêtements que James Paris va présenter. "C'est une tenue qui représente l'espoir, qui représente cette lumière au fond du tunnel, raconte-t-il d'une voix monotone. Ma collection, elle parle du deuil, de la renaissance." Elle raconte sa vie, sa migration, ses rêves.
Ce jeune homme, qui aime casser les codes de genre lorsqu'il s'agit de s'habiller, traîne derrière lui une histoire lourde. Né en Colombie en 2000, lui et sa famille sont forcés à l'exil après la mort soudaine de son père, tué dans un règlement de compte. James, ou plutôt Rodrigo, son vrai nom, n'a alors que six ans. "On était tous menacés de mort, donc on a dû quitter le pays", explique-t-il. Avec ses sœurs et sa mère, ils arrivent à Cayenne, sans moyens, sans papiers. "Il fallait survivre, il fallait manger, il fallait aller à l'école sans comprendre ce que les professeurs disaient..."
Quand on arrive en tant que migrant en Guyane, on n'arrive pas dans un logement. On arrive directement dans un squat. Pendant plus de dix ans, on allait de squat en squat, jusqu'à ce que ma mère puisse avoir ses papiers.
James Paris, étudiant en stylisme
Rodrigo devient James Paris
Au fil des ans, Rodrigo devient un vrai petit Guyanais. "La Guyane, c'est le département qui m'a ouvert des portes, qui m'a donné un espoir de vie. Elle m'a permis de devenir la personne que je suis aujourd'hui", dit-il. C'est là-bas qu'il trouve sa voie, en intégrant le lycée Melkior-Garré de Cayenne, dans la filière professionnelle dédiée aux métiers de la mode. Car, depuis longtemps, il aime jouer – ou plutôt créer – avec la machine à coudre de sa mère. "Je regardais toujours comment elle faisait, puis je reproduisais. À un moment donné, elle m'a dit : 'Tu sais utiliser une machine, donc tu peux faire mes ourlets', et elle s'est amusée à acheter des rideaux et des nappes", racontait-il à Guyane La 1ère.
Après le Bac, Rodrigo s'envole pour l'Hexagone avec des rêves, et une nouvelle identité : James Paris. "James", c'est pour rendre hommage à son père. "Paris", c'est pour garder en tête son objectif, la ville où il désire vivre, créer, dessiner, coudre. Ce futur couturier se voit déjà en nouveau Thierry Mugler, styliste français de renom. "Il n'avait pas de limites", justifie James Paris. Il se voit à la tête de son atelier de sur-mesure – il abhorre le prêt-à-porter – pour inventer des tenues de soirées, des pièces rares, des vêtements de collection... "Rien n'est impossible dans la mode", croit-il.
Dans l'atelier de son école bordelaise, James Paris passe en revue les tenues qu'il a créées ces derniers mois. Ce qui lui plaît le plus dans le monde de la mode ? "Donner vie, créer, pouvoir toucher les textiles, les matières, monter le vêtement..."
Le jeune étudiant surprend parfois à parler de lui à la troisième personne, comme s'il oubliait qui il était : Rodrigo ou James Paris ? "Rodrigo, c'est l'enfant qui a vécu une vie assez compliquée. James Paris, c'est la nouvelle identité de Rodrigo, distingue-t-il. C'est celui qui croit en lui, qui est toujours déterminé, qui se bat pour ses rêves, pour les personnes qui l'entourent. James Paris, c'est la personne forte, contrairement à Rodrigo."
D'une pyjama party au Cour Mably
Plus tard, ce jour-là, sur la place du Chapelet, dans les beaux quartiers de Bordeaux, une horde d'invités fait sagement la queue pour entrer dans le cour Mably. C'est près de l'église Notre-Dame que les élèves de l'IBSM Mode & Marketing vont présenter leurs créations, tenant lieu à la fois de bal de fin d'année, mais aussi d'examen final. Dans les coulisses, James Paris apprête ses mannequins. Il ne laisse poindre aucun stress : le Guyanais est un habitué des défilés, depuis qu'il a eu l'opportunité de montrer plusieurs de ses créations après avoir remporté un concours de la marque Shein en septembre de l'année dernière.
Pour le directeur pédagogique de l'école, Alexandre Bachellerie, qui veille au grain sur l'organisation de la soirée, James Paris "a fait un parcours remarquable". "Ses projets sont toujours bien réalisés, très bien pensés. Il aime ce qui est grandiloquent, exceptionnel, ajoute-t-il, un large sourire de satisfaction aux lèvres. Avec lui, il faut que ça brille, il faut que ça pète."
La musique est lancée, le défilé commence. James, lui, est le dernier étudiant à passer. Ses trois tenues, toutes noires, sont attentivement scrutées par le public. Puis apparaît Slohann Rosier, sa mannequin star (par ailleurs une de ses meilleures amies), vêtue de la robe cayennaise qu'il nous présentait plus tôt dans la journée. Toutes les créations du jeune couturier sont taillées sur mesure pour la jeune femme, venue spécialement à Bordeaux pour le défilé de fin d'année. Majestueuse, elle avance sur la piste d'un pas assuré, le regard fixe. Les milliers de perles vertes, jaunes et rouges font leur effet sur le public.
Comme James Paris, Slohann vient de Guyane. Ces deux-là se sont rencontrés lorsqu'ils étaient au lycée. La première fois qu'ils se sont vus, c'était pour une pyjama party. James avait proposé à Slohann de dessiner sa tenue. Quatre ans plus tard, la Guyanaise porte l'une des plus belles robes créées par son ami colombien.
Sous les applaudissements, James Paris apparaît à son tour sur la piste du défilé pour un salut final avec tous ses camarades. Collé à Slohann, sous le regard ému de sa mère et de ses frères et sœurs, assis dans le public, il savoure son moment. Stefania, une de ses sœurs, assure qu'"il a passé des nuits sans dormir" pour en arriver là. "C'est un artiste, mon frère. Depuis petit, il nous a montré qu'il serait grand." Son diplôme en poche, son objectif est désormais de passer un an à Londres, afin de maîtriser l'anglais – primordial pour percer sur la scène fashion mondiale –, avant de débarquer à Paris, sa valise remplie de tissu noir et de perles colorées.
Le styliste a en tout cas eu l'occasion de présenter son travail le 16 décembre dernier à des millions de téléspectateurs : c'est lui qui a en effet créé la tenue régionale portée par Miss Guyane, lors de la soirée de Miss France 2024. Encore un hommage à son département d'accueil.