L’illustre Guide Michelin qui décerne des étoiles aux restaurateurs depuis 1926 n’a jamais mis un pied dans les Outre-mer. Pourquoi une telle absence depuis près d’un siècle ?
Interrogée en 2021, Babette de Rozières, qui a lancé le Salon de la gastronomie des Outre-mer, ne comprend pas cette position qu’elle juge archaïque. "Pourquoi n’honorent-ils pas la cuisine créole ?, demande-t-elle. Ils parlent de cuisine "ethnique" et n’ont pas conscience qu’il s’agit d’une cuisine des régions. Le jour où ils s'intéresseront vraiment à la gastronomie, ils comprendront".
Une pétition
Alors que le Guide Michelin doit dévoiler son palmarès 2024 ce lundi 18 mars, des voix ultramarines s'élèvent pour demander à intégrer les Outre-mer dans le prestigieux guide gastronomique. "Nous souhaitons l'équité entre les restaurateurs de France, réclame Philippe Lecuyer, président du groupe Ziléa, un regroupement d'acteurs du tourisme en Martinique. De toute la France et pas seulement d’Hexagone. Mais aussi des territoires ultramarins. Aucun de ces territoires ne figure dans le Guide Michelin qui décerne des distinctions pour les chefs, des étoiles."
Même son de cloche chez Christian Bidonot, spécialiste des Outre-mer et auteur de plusieurs guides touristiques et gastronomiques. Cet Antillais installé dans le sud de l'Hexagone avait lancé en 2016 une pétition pour demander que toutes les régions d’Outre-mer figurent au Guide Michelin. Il avait même rencontré l’ancien directeur du célèbre guide au siège de Boulogne-Billancourt pour lui présenter un projet en ce sens.
"C’est une affaire commerciale, le Guide Michelin. Il faut que ça leur rapporte de l’argent. Et pour l’instant, les Outre-mer, ce n’est pas leur priorité", explique le spécialiste. Pour ce critique gastronomique, cela "représente un vrai préjudice pour les régions d’Outre-mer qui sont des destinations très touristiques. C’est comme si les Outre-mer ne faisaient pas partie de la France", ajoute-t-il un peu amer. Les restaurants ultramarins ne seraient-ils pas dignes de figurer dans ce guide gastronomique "au-dessus du lot" comme le qualifie Christian Bidonot ?
"Ça viendra le moment venu"
"Non, répondait une porte-parole du Guide Michelin en 2021. Ça ne fait pas partie de nos projets immédiats, mais ce n’est pas une fatalité", déclarait-elle à Outre-mer la 1ère. Et pourtant, le Guide Michelin s’est intéressé à des dizaines de destinations à travers le monde : Malte, Macao, la Slovénie, New York, la République Tchèque et bien d’autres encore. Mais rien Outre-mer. "On fait les choses avec sérieux quand on s’installe quelque part. Il faut plusieurs années de travail en amont", précise encore Michelin. "Ce n’est pas un oubli, ça viendra le moment venu, mais on ne sait pas quand", déclare enfin la porte-parole du célèbre guide.
Seule consolation dans cette affaire : plusieurs chefs originaires des Outre-mer installés dans l’Hexagone sont dans le classement de Michelin. Les Martiniquais Sébastien Jean-Joseph et Grégory Anelka à la tête de Baieta (Paris 5ᵉ, 1 étoile), Kelly Rangama qui dirige Le Faham à Paris (17ᵉ, 1 étoile), Louis-Philippe Vigilant, chef au Loiseau des Ducs (Dijon, 1 étoile) ou encore Marcel Ravin au Blue Bay (Principauté de Monaco, 2 étoiles) restent confortés par le célèbre guide.
Une certaine inertie
Contactée par Outre-mer la 1ère il y a trois ans, Kelly Rangama estime après avoir fait un tour des Outre-mer qu’il y a plein de tables qui méritent que le Michelin s’y intéresse. "On a fait passer le message au guide, dit-elle, mais il faut peut-être leur laisser le temps. Il faut probablement aussi que les restaurateurs des régions d’Outre-mer se manifestent de leur côté", souligne-t-elle.
Le plus célèbre guide gastronomique va-t-il enfin s’intéresser aux tables des Outre-mer dans les années à venir ? Difficile d’être optimiste, au vu d’une certaine inertie de l’institution. Le Guide Michelin est le seul à avoir fait sa sélection de l'ère Covid "selon les mêmes critères depuis toujours".