"Je me souviens, c’était en 2019, je regardais un concert de violons à la télévision", se souvient Suzy Palatin, à l’origine de ce concert des instruments de l’espoir et présidente de l’association Ailleurs et Ici. "J’ai été saisie par le son si particulier qu’ils dégageaient. Ils m’ont profondément touché, j’en ai même pleuré", raconte-t-elle avec émotion. Ce jour-là, Suzy regardait, sans le savoir, le concert des violons de l’espoir dont l’histoire est intimement liée à l’une des pages les plus sombres de notre histoire, celle de la Shoah, "la catastrophe" en hébreu.
Ils jouaient pour leurs geôliers
Durant la Seconde Guerre mondiale, où près de 6 millions de Juifs d’Europe ont été exterminés par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs, le violon a été un soutien, voire un moyen de survie pour certains prisonniers dans les camps de concentration. Grâce à leur maîtrise du violon, ils jouaient pour leurs geôliers et tortionnaires et voyaient ainsi surseoir leur exécution.
Amnon Weinstein, luthier israélien, a décidé un jour de réparer ces violons et de les faire ensuite jouer sur scène en les confiant à des musiciens lors d’un concert. À travers eux, il les fait témoigner et raconter l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont connu l’insoutenable.
Ma mission, c’est de mettre la main sur tout violon rescapé de la Shoah, de l’acquérir, de le réparer et d’en faire un violon capable d’être joué pour un concert, je veux que ces violons soient joués, qu’ils fassent entendre ce qu’ils ont à dire.
Ammon Weinstein, Fondateur de Violins of Hope
Cette rencontre avec Ammon Weinstein et "les violons de l’espoir" a été déterminante pour cet ancien mannequin, aujourd’hui écrivaine à succès d’ouvrages culinaires dans lesquels elle rend notamment hommage à la cuisine antillaise qui lui a transmis l’amour du bien manger. Suzy Palentin imagine alors un projet un peu fou, celui de réunir sur une même scène ces deux instruments témoins des atrocités de notre histoire et qualifiés de crime contre l’humanité : la Shoah et l’esclavage.
Les tambours Ka, comme une évidence
Durant la période de l’esclavage, les tambours Ka, composé d'une peau de cabri (chèvre) et d'un tonneau, le tout assemblé par un système de cordage, ont joué un rôle majeur. Ils apportaient à la fois un soutien aux esclaves et un moyen de communication décisif dans leur libération. Le Gwoka associe la musique, le chant et la danse et se pratique sur les rythmes que le tambouyé (joueur de tambour) fait sortir de son instrument. Il est le résultat d’un métissage inter-ethnique et d’un désir des esclaves de recréer leur culture africaine en territoire Caraïbe. Il se pratique dans le cadre d’une ronde où se crée une synergie nécessaire à la sublimation d’un quotidien insupportable. À partir de 1441 et durant plus de 400 ans, onze millions de personnes ont été déportés.
"Pourquoi ne pas faire se rencontrer ces deux instruments ?", s’interroge Suzy Palatin qui décide de contacter "l’artisan" des violons de l’espoir et de mettre toute son énergie pour permettre à ce projet de se concrétiser. À force de ténacité, parfois de lassitude durant la longue parenthèse du Covid, un premier concert voit le jour l’été dernier en Guadeloupe au Mémorial Act à Pointe-à-Pitre. Le succès est au rendez-vous et désormais tous les espoirs sont permis.
À New York, dans une Synagogue
Après une première prestation sur une scène parisienne, le 22 novembre dernier, les instruments de l’espoir se sont envolés pour New York cette fois, où ils feront vibrer les murs d’une Synagogue. Un autre symbole tout aussi fort de cette rencontre exceptionnelle entre l’histoire et la musique.
"Nous ne voulons pas nous arrêter sur nos différences, mais nous laisser guider par notre humanité, notre détermination et l’espoir qui nous fait vivre et nous unit. Toutes les souffrances infligées aux hommes sont intolérables", insiste Suzy Palatin, qui ajoute : "il nous appartient de porter ce témoin et de le transmettre à tout un chacun. Chaque fois que nous relayons ce témoin, nous franchissons un pas en avant et les victimes deviennent des héros et restent dans nos mémoires", conclue la présidente de l’association Ailleurs et Ici.