Qui est Luc Pinto Barreto, le Martiniquais qui "deale" des livres en Seine-Saint-Denis ?

Luc Pinto Baretto a quitté son poste d'agent de maintenance dans un palace pour vendre des livres à Saint-Denis (93), où les librairies indépendantes sont rares. Fort de l'enthousiasme populaire et aidé par la mairie, il espère financer un conteneur aménagé pour se mettre à l'abri des intempéries.
Le 6 juillet dernier, il a installé sa table devant la gare de Saint-Denis. À 33 ans, Luc Pinto Barreto entame une nouvelle aventure, il est désormais libraire de rue. Fils d'un Cap-Verdien et d'une Martiniquaise du Lamentin, il a décidé de se mettre à l'abri pour quelques semaines, mais espère bien retrouver son parvis en janvier, dans un conteneur aménagé en librairie, cette fois. 
 

Des palaces parisiens au parvis de la gare de Saint-Denis

Ce projet, c'est le fruit d'une reconversion. Pendant cinq ans, Luc Pinto Barreto a exercé la profession de technicien de maintenance dans l'hôtellerie. Après avoir effectué son alternance dans un hôtel de la chaîne Ibis, le Martiniquais intègre le monde des palaces parisiens : le Shangri-La d'abord en 2015, puis le Peninsula et le Pullman Paris La Défense. "C'est vraiment un autre monde, l'argent, le faste, le luxe etc. C'était vraiment une super expérience. Ce qui me déplaisait, c'était les trois-huit."

Un rythme difficile à concilier avec sa vie de famille naissante. Dès 2016, Luc imagine "mettre un pied dans le monde du livre". "À l'époque, j'avais envie de faire des livres audio", se souvient-il. Il lance une chaîne Youtube afin de partager sa passion pour la littérature. Mais l'idée ne va pas beaucoup plus loin, il reprend alors un contrat dans un hôtel pour "payer les factures".
 

Des livres, des idées, des combats

Dans l’hôtellerie, Luc Pinto Barreto fait partie "des hommes et femmes de l’ombre", ceux-là même qu'il aime aujourd'hui mettre en avant sur son étal. "Idéalement, le client n’est pas censé vous voir (…) S’il a besoin de vous, c’est qu’il y a un souci !" Conditions de travail, mais aussi condition féminine, manque de moyens à l'école publique, racisme et panafricanisme... les livres qu'il expose sur sa table et suspend à un paravent en bois reflètent des sujets de société très actuels et des combats qui lui tiennent à cœur. 

De Maryse Condé à Aimé Césaire, en passant par Dany Laferrière ou encore Jessica Oublié, les auteurs caribéens tiennent une place prépondérantes dans le petit commerce de rue. Mais pas seulement. En bonne place trône aussi Le Pouvoir noir de Malcom X. Le recueil qui retrace l’itinéraire politique du célèbre militant noir américain a marqué Luc jusqu'à lui donner l'amour des livres. C'était en 2005, une année riche en événements qui ont marqué le libraire : l'incendie du boulevard Vincent Auriol, l'ouragan Katrina, le débat autour du rappeur Youssoupha qui voulait appeler son premier album Négritude...
 

J’aime beaucoup le livre pour tout ce que ça peut permettre de penser, de questionner, mais aussi pour aller au-delà du livre, pour voir ce qu’on peut mettre en place une fois qu’on a lu, qu’on est au courant de tel ou tel sujet.


 

Le coup de pouce dyonisien

Luc Pinto Barreto est lucide sur sa nouvelle activité. "Le monde du livre, ce n’est pas un secteur qui se porte super bien, analyse-t-il. Il faut vendre assez de livres pour payer le loyer d’un local classique. Le plus simple pour pas avoir de loyer, c’est de ne pas avoir de local et se mettre dans l’espace public." Voilà pourquoi il a opté pour une librairie de rue. C'est à Saint-Denis que le Martiniquais a choisi de l'installer : "J’ai vraiment eu un coup de cœur pour ce parvis. Je me suis dit, c’est un super espace, c’est vivant, il y a plein de monde."

Entre le 6 juillet, date du lancement du projet, et le 9 novembre, le libraire a côtoyé les "dealers" (vendeurs en anglais) de maïs, de brochettes et autres plats à emporter. Cette semaine, Luc retrouve "Folies d'encre", la librairie dyonisienne qui lui a donné sa chance. C'est là qu'il a fait un stage au printemps dernier pour validé la formation de vendeur que lui proposait Pôle Emploi. C'est là aussi qu'il se procure les livres qu'il vend. C'est là, enfin, qu'il va travailler quelques semaines, en attendant de pouvoir faire migrer sa librairie dans un conteneur aménagé, toujours sur le parvis de la gare de Saint-Denis.

Luc est confiant, il est également soutenu par la mairie de la troisième commune d'Île-de-France, où les librairies indépendantes sont rarissimes. Elle a prolongé à trois ans son autorisation de vendre sur le parvis de la gare. Pour financer son projet de conteneur aménagé, afin de se mettre à l'abri du froid et élargir son offre de livres, il a lancé une cagnotte en ligne. Le libraire espère récolter 10 000 euros pour finaliser son rêve.