🎧 Qui est vraiment créole dans le monde actuel ? Des pistes de décryptage

Sommes-nous tous devenus créoles ? Qui est vraiment créole dans le monde actuel ?
Le mot “créole” peut-il avoir une dimension universelle ? Le mot s’exporte aujourd’hui loin de ses frontières. Comment est-il devenu symbole d’un monde hybride, de circulations et de partage ? Suite du décryptage géographique, humain, poétique, philosophique et politique autour de la créolisation.

Dans cet Ă©pisode du podcast "Sommes-nous tous devenus crĂ©oles", la journaliste Alice Milot questionne RaphaĂ«l Confiant, Myriam MoĂŻse et Isabelle Dubost sur ce terme "crĂ©ole", comme nĂ©ologisme de revendication de libertĂ© et d'ouverture. Comment ce mot peut-il porter des questions politiques de reprĂ©sentation du monde ? 

Une idée de la créolisation

  • L’écrivain martiniquais RaphaĂ«l Confiant est ancien professeur de langues et cultures crĂ©oles Ă  l'UniversitĂ© des Antilles. Militant de la cause crĂ©ole depuis les annĂ©es 1970, il a publiĂ© en 1989 avec Jean BernabĂ© et Patrick Chamoiseau Éloge de la crĂ©olitĂ©, manifeste du mouvement esthĂ©tique du mĂŞme nom. Il est membre de la direction du mouvement Martinique Ecologie. Il a Ă©tĂ© le premier Ă©crivain martiniquais Ă  publier un roman en crĂ©ole, Bitako-a en 1985, avant de passer au français avec Le Nègre et l'Amiral en 1988. Auteur d'une soixantaine d'ouvrages, il a remportĂ© plusieurs prix littĂ©raires, dont le Prix Novembre pour Eau de CafĂ© en 1991 et le Prix Casa de Las Americas pour Ravines du Devant-Jour en 1993. En 2007, il a publiĂ© le premier dictionnaire du crĂ©ole martiniquais, et depuis quatre dĂ©cennies, il s'intĂ©resse activement Ă  la langue et Ă  la culture crĂ©ole, explorant les devinettes, les proverbes, les contes, et les aspects didactiques de la question.
Raphaël Confiant

Avec l’évocation de souvenirs d’enfance, Raphaël Confiant reconnaît avoir vécu dans un bain de créole sans en avoir tout à fait eu conscience à l’époque.

Je suis au fin fond de la Martinique, dans les années 50-60, dans un minuscule bled et j’entends le français, le créole, le grec ancien, le latin, le tamoul, l’arabe… Je vois des cérémonies hindoues, je vais à l’église catholique et je sais très bien que le type du coin, c’est un quimboiseur c’est-à-dire un sorcier pratiquant les restes de religion africaine ; en fait c’est du vaudou dégénéré. Donc, j’ai vécu extraordinairement dans un monde multi-religieux, multilingue, multi racial puisque mon père est un métis noir chinois de Fort-de-France, de la ville…

Raphaël Confiant

Raphaël Confiant a vécu cette multiculturalité comme une normalité car elle était sa seule référence. Son arrivée en France hexagonale après son bac, lui fait prendre conscience de l’existence d’une réalité différente. "Je n’avais jamais vu un monde où les gens avaient la même couleur".

Des identités chancelantes

  • Myriam MoĂŻse, est maĂ®tresse de confĂ©rences en Ă©tudes anglophones Ă  l’UniversitĂ© des Antilles (Martinique). Depuis sa nomination en 2018, elle est secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale d’UniversitĂ© CaraĂŻbe, association des universitĂ©s et instituts de recherche de la CaraĂŻbe. Ses domaines de recherche concernent les Ă©tudes postcoloniales, les Ă©tudes sur le genre, et l’analyse du discours, plus particulièrement les textes produits par les femmes afros caribĂ©ennes.

Myriam Moïse livre quelques pistes de réflexion. Selon elle, le processus de créolisation s’est formé dès le départ sur des identités chancelantes. Elle se réfère à l’écrivain et universitaire barbadien Edward Kamau Brathwaite qui utilise l’image du limbo, cette danse sous un bâton parfois enflammé dans laquelle le corps est souvent chancelant pour passer sous le bâton. Le Barbadien, Edward Kamau Brathwaite, utilise cette image pour décrire les identités qui sont nées depuis la cale du navire négrier - ce chancellement est présent dès la traversée en bateau et dans la déportation des Africains d’un espace à un autre. "Le chancellement des identités, cette instabilité là, elle est propre à la créolité."

Myriam MoĂŻse

Dans la Caraïbe, aux Antilles, dans les sociétés postcoloniales, et post-esclavagistes, les identités ne sont jamais fixes, statiques ; il y a toujours un mouvement et un processus de transformation.

C’est important de voir la créolisation comme un phénomène de transcendance : transcender les espaces, transcender les normes et les catégories.

Myriam MoĂŻse

Le risque de dépréciation du terme de créolisation

Le concept de créolisation s’exporte, voyage et devient symbole de revendication, de liberté et d’ouverture. Mais certains mettent en garde contre le risque de galvauder ce terme. C’est le point de vue d’Isabelle Dubost, anthropologue.

  • Isabelle Dubost est maĂ®tresse de confĂ©rence en anthropologie Ă  l’UniversitĂ© des Antilles (Martinique), spĂ©cialiste des migrations et des mobilitĂ©s des " Chinois", des " Libanais " et des "Syriens " en Martinique, en Guyane et dans la CaraĂŻbe. Elle travaille Ă©galement sur l’accès Ă  la citoyennetĂ© de ces immigrants. Elle s’intĂ©resse Ă©galement Ă  la rĂ©silience des populations confrontĂ©es Ă  la dĂ©tĂ©rioration de leurs conditions de vie dans un environnement dĂ©gradĂ© par les Ă©chouages d’algues sargasse et la persistance du pesticide Ă  base de chlordĂ©cone.

Que met-on aujourd’hui dans le terme de créolisation à l’heure où les médias en usent et en abusent ? Une tendance à vouloir donner une valeur universelle au concept de créolisation se dégage. L’anthropologue se demande si cela ne ferait pas perdre de vue les spécificités d'origine du concept, à savoir le contexte dans lequel la créolisation a ses racines (contexte caribéen et esclavage). En quoi le terme serait-il encore valable aujourd’hui pour parler spécifiquement des sociétés créoles ? En tant qu’anthropologue, peut-elle encore parler de créolisation ? Elle estime qu’il faudrait redéfinir ce concept et voir sa pertinence aujourd’hui. En quoi ce concept serait-il plus valide que celui de métissage, d’échange, d’appartenance culturelle… ?

Est-ce que la crĂ©olisation, c'est juste construire du vivre-ensemble ? Cela me paraĂ®t très rĂ©ductionniste.

Isabelle Dubost

  

"Sommes-nous tous devenus créoles ?", un podcast à retrouver ici

PrĂ©sentation : ValĂ©rie Bègue
Journaliste : Alice Milot  
Reportages en Martinique : Jeanne Robet
RĂ©alisation : François-Charles Domergue  
Direction Ă©ditoriale d’Outre-mer la 1ère : Fabrice Hochard et Jean-Marc Party
Production Executive : Thomas Baumgartner et Thibaut Potdevin

Production originale : wave.audio 
DurĂ©e : 20 min