Dans son dernier roman "Du Morne-des-Esses au Djebel", l'écrivain Raphaël Confiant revient sur la guerre d'Algérie à laquelle des milliers d'Antillais et de Guyanais ont pris part. Ces trois protagonistes étaient des anonymes, à la différence de Frantz Fanon. Entretien.
Outre-mer la 1ère : Votre dernier roman « Du morne-des-Esses au Djebel" revient sur la guerre d’Algérie. C’était une nécessité ?
Raphaël Confiant : En fait, la grande image de Frantz Fanon a occulté celle de centaines d’Antillais et de Guyanais qui ont participé à cette guerre. Comme si le rapport entre la guerre d’Algérie et les Antillais se résumait à Fanon. Il se trouve que les trois quarts des soldats n’ont fait qu’obéir aux ordres de leurs supérieurs, c’est-à-dire qu’ils ont commis, eux aussi, des exactions. J’ai connu d’anciens officiers antillais de cette guerre qui m’ont raconté des choses horribles.
Ce n’est pas forcément ce à quoi on se serait attendu…
Non. Mais c’étaient des êtres humains qui ne comprenaient rien à cette guerre. La plupart des appelés venaient de la campagne, comme celle du Morne-des-Esses (en Martinique). Ils débarquent dans un monde complétement différent du leur. Ils n’ont pas eu l’opportunité d’aller loin à l’école et c’est un choc pour eux. Certains étaient tout de même sensibles à la similitude des situations : fils de travailleurs agricoles, ils retrouvaient chez certains riches pieds-noirs, l’équivalent des békés martiniquais. Pourtant, il y a eu peu de désertions.
Comment l’expliquer ?
Ces soldats n’avaient pas une formation scolaire suffisante pour comprendre les enjeux de ce conflit. Il s’agissait de colonisés qui se battaient contre d’autres colonisés.
Mais ce n’est pas le cas de vos héros, Ludovic Cabont, Juvénal Martineau et Dany Béreaud : les deux premiers sortent de Saint-Cyr, et le troisième de la Sorbonne…
J’ai changé les noms. Mais Martineau et Cabont ont réellement existé. Et Béreaud est toujours en vie. Oui, ils ont les moyens intellectuels de comprendre les enjeux et éventellement de rallier le FLN (Front de Libération nationale). Chose que l’on ne peut pas demander à un coupeur de canne, ce qu’étaient beaucoup d’appelés.
Que racontent les passages de sexe au début du livre ?
La colonisation c’est aussi la conquête du corps féminin. Alors que les femmes sont voilées et pudiques, les soldats ne comprennent pas pourquoi, elles leur montrent leurs sexes poilus. Par ce geste, elles souhaitent leur dire que les hommes qu’ils recherchent ne sont pas là, sinon elles seraient rasées. Simplement, les soldats ne saisissent pas le message. C’est un choc des cultures. Toutes ces scènes sont réelles. Je les ai trouvées dans les écrits de soldats. Je n’ai inventé que les dialogues.
Frantz Fanon arrive tard dans votre roman…
En Martinique, on ne connaissait pas les écrits de Fanon à l’époque. Ils n’étaient pas diffusés dans l’île. En Algérie, ces officiers n’en n’avaient pas entendu parler non plus. L’image de Fanon est floue et tardive dans le livre car ils ne font sa connaissance que quand il commence à écrire dans El Moudjahid (le journal du FLN).
La découverte de l’islam est un choc pour ces Antillais ?
Oui c’était un véritable choc. Entre l’islam plus extraverti avec l’appel du muezzin et le catholicisme où le prêtre dit la messe presque à voix basse. Pourtant ces deux religions sont proches dans la réalité. Mais les gens ne le savent pas. La découverte de l’islam constitue un véritable choc culturel. En raison de cette religion forte, la France s’est heurtée à une véritable barrière dans son œuvre de colonisation. C’est pourquoi il y a eu très peu de métissage, comme si, en terre d’islam, un mélange entre catholicisme et islam était impossible.
Il vous a été facile de faire parler les gens sur cette guerre ?
La guerre d’Algérie est un non-dit aux Antilles. On en parle peu. Après la sortie de mon livre, j’ai reçu plein de textos de gens qui avaient un parent qui avait participé à cette guerre. Malheureusement, les langues se délient après coup !
Du Morne-des-Esses de Raphaël Confiant (chez Caraibéditons)
Raphaël Confiant : En fait, la grande image de Frantz Fanon a occulté celle de centaines d’Antillais et de Guyanais qui ont participé à cette guerre. Comme si le rapport entre la guerre d’Algérie et les Antillais se résumait à Fanon. Il se trouve que les trois quarts des soldats n’ont fait qu’obéir aux ordres de leurs supérieurs, c’est-à-dire qu’ils ont commis, eux aussi, des exactions. J’ai connu d’anciens officiers antillais de cette guerre qui m’ont raconté des choses horribles.
Ce n’est pas forcément ce à quoi on se serait attendu…
Non. Mais c’étaient des êtres humains qui ne comprenaient rien à cette guerre. La plupart des appelés venaient de la campagne, comme celle du Morne-des-Esses (en Martinique). Ils débarquent dans un monde complétement différent du leur. Ils n’ont pas eu l’opportunité d’aller loin à l’école et c’est un choc pour eux. Certains étaient tout de même sensibles à la similitude des situations : fils de travailleurs agricoles, ils retrouvaient chez certains riches pieds-noirs, l’équivalent des békés martiniquais. Pourtant, il y a eu peu de désertions.
Comment l’expliquer ?
Ces soldats n’avaient pas une formation scolaire suffisante pour comprendre les enjeux de ce conflit. Il s’agissait de colonisés qui se battaient contre d’autres colonisés.
Mais ce n’est pas le cas de vos héros, Ludovic Cabont, Juvénal Martineau et Dany Béreaud : les deux premiers sortent de Saint-Cyr, et le troisième de la Sorbonne…
J’ai changé les noms. Mais Martineau et Cabont ont réellement existé. Et Béreaud est toujours en vie. Oui, ils ont les moyens intellectuels de comprendre les enjeux et éventellement de rallier le FLN (Front de Libération nationale). Chose que l’on ne peut pas demander à un coupeur de canne, ce qu’étaient beaucoup d’appelés.
Que racontent les passages de sexe au début du livre ?
La colonisation c’est aussi la conquête du corps féminin. Alors que les femmes sont voilées et pudiques, les soldats ne comprennent pas pourquoi, elles leur montrent leurs sexes poilus. Par ce geste, elles souhaitent leur dire que les hommes qu’ils recherchent ne sont pas là, sinon elles seraient rasées. Simplement, les soldats ne saisissent pas le message. C’est un choc des cultures. Toutes ces scènes sont réelles. Je les ai trouvées dans les écrits de soldats. Je n’ai inventé que les dialogues.
Frantz Fanon arrive tard dans votre roman…
En Martinique, on ne connaissait pas les écrits de Fanon à l’époque. Ils n’étaient pas diffusés dans l’île. En Algérie, ces officiers n’en n’avaient pas entendu parler non plus. L’image de Fanon est floue et tardive dans le livre car ils ne font sa connaissance que quand il commence à écrire dans El Moudjahid (le journal du FLN).
La découverte de l’islam est un choc pour ces Antillais ?
Oui c’était un véritable choc. Entre l’islam plus extraverti avec l’appel du muezzin et le catholicisme où le prêtre dit la messe presque à voix basse. Pourtant ces deux religions sont proches dans la réalité. Mais les gens ne le savent pas. La découverte de l’islam constitue un véritable choc culturel. En raison de cette religion forte, la France s’est heurtée à une véritable barrière dans son œuvre de colonisation. C’est pourquoi il y a eu très peu de métissage, comme si, en terre d’islam, un mélange entre catholicisme et islam était impossible.
Il vous a été facile de faire parler les gens sur cette guerre ?
La guerre d’Algérie est un non-dit aux Antilles. On en parle peu. Après la sortie de mon livre, j’ai reçu plein de textos de gens qui avaient un parent qui avait participé à cette guerre. Malheureusement, les langues se délient après coup !
Du Morne-des-Esses de Raphaël Confiant (chez Caraibéditons)