Réforme des retraites : deux jeunes Ultramarins confrontent leurs idées

À gauche, Guillaume Lahaye, militant de gauche et trésorier de l'association Sorb'Outre-mer. À droite, Bradley Chan Tsun Ching, membre des Jeunes avec Macron.
En cette onzième journée de mobilisation, Outre-mer la 1ère a voulu savoir ce qu'en pensent les jeunes Ultramarins. Nous avons interrogé deux d'entre eux sur la réforme des retraites. Alors que l'un soulève une "injustice", l'autre présente un "sacrifice utile".

L'un est âgé de 25 ans, l'autre de 21 ans. Il y a deux ans, ils sont tous les deux partis de leur île d'origine, La Réunion, pour continuer leurs études dans l'Hexagone, l'un en communication publique et politique, l'autre en philosophie et en sciences économiques et sociales. Tous les deux politisés, l'avis de Bradley Chan Tsun Ching et de Guillaume Lahaye divergent sur la réforme des retraites. 

Bradley Chan Tsun Ching, responsable communication des Jeunes avec Macron pour le pôle Outre-mer, soutient le projet du Président. Il y voit une réforme "utile" et "primordiale" pour le pays. "Le système [des retraites, ndlr] est en perte. Je suis favorable à cette réforme, car l'objectif est un retour à l'équilibre d'ici à 2030, sans augmenter les cotisations et sans baisser les pensions", plaide le jeune Macroniste. Alors que pour Guillaume Lahaye qui se revendique de gauche, la réforme est "hypocrite" et "profondément injuste pour les seniors". "On enlève deux ans de vie en retraite pour les actifs, on ne prend pas en compte la baisse du pouvoir d'achat et l'incapacité des seniors à travailler à partir d'un certain âge", défend-il.

"Les corps sont usés"

Le point central de crispation entre les deux Réunionnais est le report de l'âge légal de 62 à 64 ans. Guillaume Lahaye estime qu'à partir d'un certain âge, "il est normal de profiter de la vie". L'étudiant de la Sorbonne souhaite que ceux dont les métiers exposent à des risques sanitaires (produits dangereux, pollution) partent à un âge qu'il juge décent.

Pour les cadres, le corps fatigue dès 55 ans et plus. Les corps sont usés à partir de 50 ans pour les ouvriers. Ils présentent des marques d'usures que nul médecin ne peut contester.

Guillaume Lahaye

En Outre-mer, la plupart des Ultramarins partent à la retraite après 64 ans, selon les chiffres de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). En cause, des revenus plus faibles liés à des carrières plus souvent hachées et un taux de chômage plus fort que dans l'Hexagone. Mais pour le jeune avec Macron, le fait d'être senior "n'est pas une raison pour ne pas être sur le marché du travail". Bradley Chan Tsun Ching pense que l'insertion des seniors en entreprises reste "faisable", au vue de l'espérance de vie qui s'allonge.

Dans ce projet, on demande à nos concitoyens de l'Hexagone comme des Outre-mer un sacrifice utile et général. Je comprends que cela ne plaise pas, mais il faut passer par là.

Bradley Chan Tsun Ching, responsable communication des Jeunes avec Macron Outre-mer

C'est le sacrifice "de certains Français plutôt que d'autres", lui répond Guillaume Lahaye. Mais Bradley Chan Tsun Ching rappelle que la réforme des retraites doit être mise en place de façon "progressive", avec d'abord un départ à la retraite à 63 ans, dès la rentrée 2023. "Elle protège également les personnes en situation de handicap et les invalides, en maintenant le départ à 62 ans".

"Effort réparti"

La pénibilité au travail joue indéniablement un rôle sur l'espérance de vie des salariés. Dans les territoires ultramarins, il a été démontré qu'il y avait "une très forte proportion d'individus de 50 ans et plus parmi les emplois aux conditions de travail difficiles, tels qu'agriculteurs, maçons ou ouvriers non qualifiés des travaux publics", selon une série d'études de l'INSEE menée aux Antilles, en 2017.

Alors, le prolongement de la durée de travail mise en place par la réforme est vue comme "une double peine" pour Guillaume Lahaye. "C'est la circonstance aggravante du projet, puisque cela accentue encore plus les inégalités", condamne-t-il. "L'espérance de vie est plus élevé dans l'Hexagone que dans les Outre-mer. Par exemple, une femme a une espérance de vie de 85 ans en France hexagonale, contrairement à 83 ans à La Réunion", explique le jeune homme, chiffre de l'INSEE à l'appui. "Repousser l'âge légal de deux ans revient à perdre quatre ans de vie en moins [pour une femme réunionnaise, ndlr] !"

Autre vision du côté de Bradley Chan Tsun Ching, qui lui ne parle pas de double peine, mais une fois de plus d'un "sacrifice utile". "Beaucoup de gens ne considèrent plus le travail comme une fin en soi, il n'y a plus la même vision de cette valeur travail. Je suis de ceux qui préfère travailler plus, dans le cadre d'une réforme juste et équitable qui reparti l'effort en prenant en compte la carrière et la pénibilité", affirme-t-il.

Et les jeunes ?

"Le gouvernement a mis en place une politique d'insertion pour les jeunes, avec les formations professionnalisantes en apprentissage, ce qui permet à ces jeunes de déjà cotiser pour leurs retraites", atteste le responsable de la communication des Jeunes avec Macron Outre-mer. "L'entrée sur le marché de l'emploi n'est pas forcément tardive".

Guillaume Lahaye nuance. À l'inverse, l'étudiant de la Sorbonne pense que la réforme des retraites "touche majoritairement les jeunes ultramarins", car il estime qu'ils ne seront pas en mesure de cotiser 43 ans, même avec des formations courtes types BTS. "En Outre-mer, le marché est bouché, les Ultramarins n'entrent pas dans une carrière jeune, il faut souvent aller dans l'Hexagone ou à l'étranger pour exercer. Donc, ils arrivent sur le marché après 20 ans, ils ne cotisent pas dès le début, ce qui leur fait un départ vers 65 ans", en conclut Guillaume Lahaye.

Le projet table sur un départ à la retraite avancé pour ceux qui commencent plus tôt, sous certaines conditions. Il faut notamment avoir cotisé cinq trimestres avant l'âge de 16, 18 ou 20 ans pour se retirer à 58, 60 ou 62 ans.

Pourtant, il y a bien un point sur lequel les deux Réunionnais se rejoignent. Autant Bradley Chan Tsun Ching que Guillaume Lahaye estiment qu'il reste des modifications à apporter à cette réforme. "Il y a encore plein d'inconnus, notamment sur la pénibilité. Nous ne savons toujours pas quels sont les critères, comme il n'y a pas eu de débat parlementaire", regrette Guillaume Lahaye en faisant référence à l'article 49.3 utilisé par Elisabeth Borne pour faire adopter la loi. "Je pense qu'il y aura encore des modifications à venir, je pense que la réforme n'est pas définitive", lâche timidement le Macroniste.