Rejet en cassation d'une demande de réparation de descendants d’esclaves : les requérants dénoncent "une décision politique"

Cour de cassation
La Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d'appel de Fort-de-France, qui avait rejeté la demande en janvier dernier en considérant que les faits étaient prescrits. Les plaignants entendent lancer de nouvelles procédures.

Ce mercredi 5 juillet, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de trois associations et d’une vingtaine de particuliers qui réclamaient réparation pour les crimes de la traite et de l’esclavage. La Cour confirme une décision de la cour d’appel de Fort-de-France de janvier 2022, qui avait rejeté la demande en considérant que les faits étaient prescrits.

"La Cour de cassation est finalement le bras de l’État, estime Garcin Malsa, le président du mouvement international pour les réparations Martinique (MIR), l’une des associations présentes dans la procédure. C’est une décision éminemment politique, la Cour cherche à préserver une forme d’impunité de l’État."

Alain Manville, l’un des avocats des plaignants, ne dit pas autre chose : "Cette décision ne nous étonne pas. Ça se résume à une question de gros sous : il est évident que quand nous allons gagner, l’État français devra payer des sommes phénoménales." Lui aussi parle d’une "décision politique, idéologique".

La prescription en question 


Si la Cour reconnait que, après l’abolition de 1848, les esclaves affranchis n’avaient "ni la capacité ni la conscience de leur droit d'agir" pour réclamer réparation, elle estime que leurs descendants pouvaient demander justice à partir de 1948, soit la date de signature de divers textes de droit international, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme. Parce qu'il court depuis près de 75 ans, le délai serait dépassé. 

"La rédaction me semble empreinte de mauvaise foi. C’est de la malhonnêteté intellectuelle que de dire que nos parents, à partir de 1948, pouvaient aller en justice", s’emporte Georges Emmanuel Germany, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Martinique. "La Cour ne reconnait pas l’esclavage comme crime contre l’humanité malgré la loi Taubira", pointe-t-il. La loi dite Taubira du 10 mai 2001 reconnaît la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité, or ces crimes sont imprescriptibles.

Au-delà de la prescription, la Cour avance un autre argument pour débouter les plaignants. Comme la cour d’appel de Fort-de-France avant elle, elle considère que si des travaux universitaires ont bien montré "des préjudices transgénérationnels" et des "traumatismes collectifs" liés à la traite, les plaignants n’ont pas fourni de pièces prouvant "l'existence d'un préjudice certain, direct et personnel" en lien avec l'esclavage. En d'autres termes, pour être pris en compte, le préjudice doit être individualisé. "Comment peut-on exiger d’une personne née en déportation d’avoir à prouver un préjudice quelconque ? C’est indigne !", s’étrangle Georges Emmanuel Germany.

Nouvelles procédures à venir

"La réparation n’est pas d’ordre spirituel seulement, il faut qu’elle soit matérielle. La France doit réparer tous ses crimes, depuis les génocides amérindiens, en passant par l’esclavage et jusqu’à la colonisation. Nous sommes persuadés que nous allons gagner", explique Garcin Malsa.

C’est une erreur historique. Nous allons gagner. Je ne sais pas quand, mais nous allons gagner. Tous ces crimes seront un jour condamnés par la Justice française, quand le rapport de force aura changé. Et le rapport de force va changer, car le monde change.

Maître Alain Manville, avocat au barreau de Martinique

Une nouvelle plainte doit être déposée au tribunal de Paris d’ici à la fin de l’année. Les requérants espèrent également multiplier les procédures dans diverses juridictions locales et porter l’affaire à l’international. "Nous irons le plus loin possible, à la Cour européenne des droits de l'Homme. Nous allons porter cette affaire à d’autres niveaux", détaille Garcin Malsa.

À supposer que ces procédures aboutissent, restera la difficile question de l’évaluation des montants des réparations à accorder aux descendants d’esclaves.