Rentrée littéraire Outre-mer (2) : de nouveaux livres à ne pas manquer

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Voici le deuxième volet de notre rentrée littéraire. On y parle de la publication d’un roman martiniquais inédit datant de 1896, d’une jeune médecin urgentiste parcourant les Outre-mer, de la relation entre droit et esclavages entre les XVe et XIXe siècles, mais également du discours de la chanteuse afro-américaine Joséphine Baker lors de la célèbre Marche pour les droits civiques à Washington en août 1963.

« Le Fruit défendu : mœurs créoles »

Les éditions L’Harmattan publient pour la première fois ce roman d’un blanc créole de la Martinique, René Bonneville, mort à tout juste trente ans (1871-1902) lors de l’éruption de la Montagne Pelée et cependant auteur d’une dizaine de livres. Le Fruit défendu, paru pour la première fois dans la revue Les Colonies en septembre 1896, raconte l’histoire de l’amour contrarié par le préjugé de race entre un blanc et une « mulâtresse ». L’auteur, essayiste, poète et redoutable polémiste, ne rentre pas dans le champ assigné par sa condition et se révèle un critique impitoyable de la société blanche conformiste et réactionnaire de Saint-Pierre, chef-lieu de la Martinique à l’époque. Ce roman fera l’objet de telles controverses que Bonneville devra en régler certains par des duels !

L’ouvrage est précédé d’une introduction de la Martiniquaise Jacqueline Couti, titulaire de la chaire en études françaises à Rice University à Houston (Etats-Unis), spécialiste des littératures antillaises et africaines ainsi que des questions de genre et d’identité. Sa présentation éclaire la problématique du roman et le situe dans son ancrage historique en rappelant la situation socioéconomique de l’île, la nature de la « plantocratie » et de l’oligarchie régnante, l’ascension progressive de « l’élite de couleur », la position de l’église catholique et les revendications du prolétariat afrodescendant. Parlant de René Bonneville, elle écrit : « Ses textes soulignent que la discrimination raciale s’exprime de manière compliquée et ne peut s’appréhender de façon binaire ou simpliste en dehors de tout contexte géographique ou sociopolitique. Ainsi, Le Fruit défendu peut se lire comme une allégorie. »

Le Fruit défendu : mœurs créoles, roman martiniquais inédit, par René Bonneville (présentation de Jacqueline Couti), éditions L’Harmattan, 154 pages, 19,50 euros. 

  

« Droit et esclavages »

Ce livre est issu d’un travail collectif réalisé par le Centre international de recherche sur les esclavages et post-esclavages (CIRESC, Université de Pau), sous la direction d’Annie Fitte-Duval, maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Il rassemble les contributions de chercheurs français et étrangers (Espagne, Nigéria, Pays-Bas, Éthiopie, Côte d’Ivoire, Mexique, Irlande et Sénégal).

L’ouvrage rappelle que l’esclavage a été un phénomène institutionnalisé, reconnu et organisé par le droit dans de nombreuses sociétés, y compris africaines précoloniales. Les différentes études traitent ainsi de la loi islamique et de l’esclavage en Afrique de l’Ouest, de ses aspects légaux et éthiques en pays Yoruba (Nigéria), des systèmes fiscaux portugais et africains dans le contexte de la traite transatlantique entre 1500 et 1800, de la condition et du statut juridiques des esclaves dans le royaume chrétien d’Éthiopie, des codes noirs en France et en Espagne, des pratiques esclavagistes dans un empire musulman du Nord de la Côte d’Ivoire, et des lois et décrets régissant le quotidien des esclaves africains dans le Mexique colonial, entre autres.

Droit et esclavages. Théories et pratiques en Afrique et dans les Amériques (XVe – XIXe siècles), sous la direction de Annie Fitte-Duval, éditions Karthala, 243 pages, 24 euros.

 

« Docteur globe-trotter »

Claire Lenne est une médecin urgentiste de 33 ans, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a l’aventure dans le sang. Travaillant principalement à La Réunion (elle a également exercé à Mayotte), elle choisit ensuite des missions qui vont l’emmener dans d’autres territoires d’Outre-mer. En Guadeloupe tout d’abord, où elle fait face à un système de santé « en souffrance ». Extrait : « Les conditions de travail sont vraiment dramatiques ici… Ce sont des conflits en permanence, sans arrêt. Le radiologue qui refuse le scanner, le chirurgien qui refuse d’hospitaliser en chirurgie un patient qu’il faut amputer »… Mais il y a aussi de bons moments, et quand même des choses qui avancent. L’urgentiste passera ensuite quelque temps en Martinique, avant de revenir en Guadeloupe puis de s’engager dans une grande tournée à bord du Marion Dufresne. Dans le fameux bateau d’expédition scientifique, elle découvrira une partie des Terres australes et antarctiques françaises. Pour finir ce sera la Guyane, dans un dispensaire isolé de la forêt amazonienne, proche du fleuve Maroni, auprès de la communauté Ndjuka, descendants des Noirs marrons.

« Un an, trois milieux très différents où le mot d’ordre reste le même : soigner. Ces cahiers de voyage se veulent avant tout une Ode à la nature, à la rencontre de l’autre, à l’émerveillement, à l’intensité de la Vie. Et à la médecine d’urgence, dans toute sa variété », résume Claire Lenne. Entre carnet de route personnel et médical, un témoignage et des découvertes souvent passionnantes.

Docteur globe-trotter, par Claire Lenne, éditions Balland, 244 pages, 17 euros.

 

« J’ai fait un long voyage… »

Le 30 novembre 2021, Joséphine Baker a été la première femme noire à entrer au Panthéon. Nous connaissons tous l’artiste, moins la résistante, agente de renseignement au service de la France et fervente militante contre le racisme et les discriminations. Le 28 août 1963, Martin Luther King lui demande de venir à Washington pour soutenir la « Marche pour l’emploi et la liberté », plus connue sous le nom de « Marche pour les droits civiques ». Parmi les orateurs présents, elle y prononce un bref discours, juste avant l’inoubliable I Have A Dream du pasteur afro-américain. C’est cette allocution engagée et émouvante qui est publiée aujourd’hui, en version bilingue, avant un dialogue entre l’un de ses fils et Pap Ndiaye, aujourd’hui ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.

Laissons justement le dernier mot à Jean-Claude Bouillon-Baker, le cinquième des douze enfants adoptifs de Joséphine, qui témoigne dans le livre. « Le lendemain de son entrée au Panthéon, avec mes frères et sœurs, nous nous sommes retrouvés devant le cénotaphe. Il y avait toujours les Gardes républicains. Nous sommes descendus dans la crypte. Elle est dans la même chambre mortuaire que Maurice Genevoix. Juste à côté, il y a Hugo, Zola, Jaurès. C’est incroyable, ça donne des frissons. ‘Une petite Noire’, comme elle disait à la fin de son spectacle, en apostrophant le public : ‘Pas mal pour une petite Noire, non ?’ »

J’ai fait un long voyage… Marche sur Washington, 28 août 1963, par Joséphine Baker (suivi d’un dialogue entre Pap Ndiaye et Jean-Claude Bouillon-Baker), éditions Descartes & Cie, 64 pages, 10 euros.