"Un soleil en exil" ou l'histoire des Réunionnais de la Creuse selon Jean-François Samlong

Entre 1962 et 1984, 2513 enfants ont été transférés de l’île de la Réunion vers les campagnes françaises, officiellement pour leur éducation. L’écrivain Jean-François Samlong revient sur cette histoire dans son dernier roman "Un soleil en exil" paru aux éditions Gallimard le 29 août 2019.
Dans ce roman, il est question de "rafles", d'"exils", de "déportation". Les mots sont chargés d’un poids, de symboles et de souffrances non dites, comme si ces enfants de jadis, aujourd’hui retraités, étaient passés dans le tunnel d’une histoire taboue. C’était une "migration forcée" affirme l’auteur réunionnais qui "aurait pu être un de ces enfants", nous-a-t-il confié.
 

Héva, de la femme esclave à la résistante de la Creuse

Jean-François Samlong a choisi un personnage féminin, une collégienne de 16 ans, Héva Lebihan pour raconter son histoire qu’elle confie à son journal intime. Le prénom Héva rappelle la légende de l’esclave marronne, femme originelle de l’île.
Parmi les causes de ce traumatisme : la démographie et la politique du gouvernement de Michel Debré, premier ministre de 1959 à 1962 et député de La Réunion.
En 1962, La Réunion compte 354 294 habitants avec un taux de natalité de 32% contre 6,5% dans les autres départements.
"On se tourne vers l’émigration car la jeunesse de l’île n’est pas perçue comme une chance mais comme une menace d’explosion sociale."
 

"Enlèvements d’enfants"

Le roman se déroule en 1970 à Saint-Denis de la Réunion, quartier du Butor. A l’intérieur d’'"une case en bois sous tôle", la mère élève seule ses trois enfants, Héva et ses deux frères, Tony et Manuel. Une "vie déglinguée et désargentée" où "sévissaient la malnutrition, la pauvreté, le paludisme". Et la peur des "enlèvements d’enfants", ramassés par la "machine à expatrier", dans un contexte où "les Réunionnais sont les Français les plus disciplinés et les plus dociles de l’outre-mer".
"Un soleil en exil" est le cahier d’une collégienne, cahier d’un impossible retour, qu’elle envisage comme "un acte de résistance".
 

"La responsabilité morale" de l’État français

"La responsabilité morale" de l’Etat français a été reconnue dans une résolution proposée par Ericka Bareigts, députée de La Réunion,  et adoptée par l’Assemblé nationale, le 18 février 2014.
Au-delà, Jean-François Sam-Long souhaite que le point 3 de la résolution soit réellement appliqué et "que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle".
Alors que certains des anciens enfants Réunionnais de la Creuse tentent de renouer avec leurs racines dans l’océan Indien, le roman "Un soleil en exil" contribue à combler les trous d’un récit national en forme de patchwork, de "tapis mendiant" selon le mot créole, un récit en forme de peau de chagrin.

Le reportage de Christian Tortel, François Brauge, Pascal Tournon et Sylvain François : 
©la1ere

►Écoutez l'entretien de Jean-François Sam-Long avec Réunion la 1ère