En 2012 ce grand gaillard de 2m 03 avait attiré l’œil de Serge Blanco lors d’un rassemblement de l’équipe de France. Le voilà appelé contre l’Italie pour le Tournoi des 6 nations. Romain Taofifenua, vingt sélections, est une force tranquille. Comme son père, et son frère.
Une image restée lors d'un reportage : nous sommes à Limoges en 2005, le grand Romain alors âgé de 15 ans. Il jouait en Cadet et dépassait déjà en taille de quelques centimètres son papa Willy, alors manager de l'USAL Limoges rugby. Il devait se baisser pour passer la porte des vestiaires. Sébastien, son frère cadet de deux ans évoluait en Minime sur le terrain d'à côté. Et le petit frère, Kilian, jouait avec un ballon dans la cour du jardin, il n’avait que 5 ans. Il est aujourd’hui talonneur à l’Usap (Perpignan). Cette notion de famille permet de tout comprendre.
Concurrence en Bleu et à Toulon
A Toulon ou en équipe de France, l’ainé des Tao, souvent un brin nonchalant, a du se faire violence pour être titulaire. Il a 30 ans, a été formé à Perpignan, un endroit où on aime le jeu d’avants, où il a appris la base du métier de deuxième ligne, le poste peut-être le plus rustique du rugby. Son père Willy est parti mettre en place l’Académie du Rugby du Pacifique Sud à Nouméa. De loin Papa Tao apprécie le boulot de son fils :
" Malgré l’âge qu’il a aujourd’hui, il a compris et s’est installé au poste, il a bossé pour, c’est super. Vu les performances des jeunes deuxièmes lignes à l’automne Cup (Geraci et Pesenti), il a réussi à rester dans le groupe. J’étais inquiet, son gabarit (2m, 127 kg) est unique, son profil de pousseur tracteur et du travailleur de l’ombre aussi. Même si Romain aime de plus en plus intervenir dans le jeu. "
Et surtout Romain a conquis la confiance de Fabien Galthié. Ce qui n’est pas le plus mince des exploits. Il a réussi à s’installer en force dans le groupe.
Romain montre une grosse présence, un gros investissement, il mérite sa place sur le banc. C’est un finisseur, j’entends que lorsqu’il rentre en jeu, à chaque match il a su répondre à des situations toujours différentes ou à des situations d’urgence. »
Un finisseur c’est une notion particulière du rugby que prône Fabien Galthié : " Ces gars-là méritent autant de débuter que les autres et ils sont prêts. Les finisseurs sont en permanence dans notre cadre de vie, ils apportent beaucoup au groupe, que ce soit sur le terrain ou dans la salle de musculation. On a besoin de leur donner du temps de jeu, ça nous aide à grandir, à les densifier et c’est cohérent par rapport à notre vie au quotidien. Nous avons à faire des choix, même si personne n’est installé en équipe de France. "
Romain leader naturel et serein
Romain Taofifenua lui garde la tête froide, il reste humble face à ces propos de son sélectionneur. Pas le genre de la maison de la ramener. " J’ai su garder ma place, je suis arrivé à maturité car j’arrive à un âge où j’ai plus d’expérience pour gérer les matchs et mes efforts. J’ai l’impression d’être de plus en plus régulier dans mes performances, c’est surtout ça qui me manquait ces dernières années "
Son discours pose aussi bien le rugby qu'il pratique avec Toulon qu’avec l’équipe de France. Dans le Var, Patrice Collazo lui fait confiance, comme Fabien Galthié en bleu, Romain le leur rend bien.
Il est devenu un leader naturel sur le terrain, complice avec son frère Sébastien. Les frangins Tao sont aussi unis dans la dernière rumeur du club qui les fait quitter Toulon. Selon Midi Olympique, le journal national du rugby, Sébastien aurait donné son accord à Bayonne. Il y retrouverait son cousin germain Filimo et Romain est suivi de près par le LOU (Lyon Olympique Universitaire) qui chercherait un deuxième ligne d’expérience. Et le club Lyonnais est coaché par l’ex entraîneur du RCT Pierre Mignoni, qui a permis à Romain de devenir un joueur essentiel de Toulon.
Sur ce sujet le Calédonien reste fidèle à lui-même, il va prendre son temps : " Pour mon avenir rien n’est signé, je vais prendre ma décision après le Tournoi, mais rien n’est fait, on va en parler en famille, je peux aussi bien rester à Toulon. Avec le temps il y a de moins en moins de joueurs qui jouent dans le même club pendant toute leur carrière. Nous sommes amenés à avoir de nouvelles expériences, si ça doit se faire je prendrai le temps pour ne rien précipiter. Je me donne encore 5 ou 6 saisons en Top 14 "
Saison sans le 16è homme
Dernière saison ou pas avec Toulon pour Romain ? Une chose est sure, la saison reste particulière pour les raisons que l’on connait dans le monde du sport professionnel. Des matchs sans public à cause du contexte sanitaire. Le rugby fait de passion, surtout à Toulon, avec le Pilou Pilou (chant traditionnel guerrier d’avant-match et les " Fadas de la rade ", fidèle groupe de supporters). Tout cela manque à Romain.
" C’est particulier, on a eu du mal à s’adapter mais vu le contexte on ne peut pas faire autrement. Le parcours maison stade maison en aller-retour ça devient vite ch… On est obligé de faire avec. "
Ici à Toulon les "Fadas" nous poussent, les gens nous abordent dans la rue, ils sont fous de rugby et une saison entière sans public ça risque de faire long. Mettre l’intensité qu’il faut sans public, ce n’est pas facile. Idem dans les matchs internationaux, c’est frustrant.
Rester un exemple pour les jeunes calédoniens
Willy suit de loin les négociations pour le transfert de ses fils et ce contexte sanitaire. « A Nouméa on va pouvoir rouvrir dans un mois l’Académie » confie-t-il. Mais le père de rugbymen qu'il est va surtout va parler aux jeunes calédoniens de ce monde professionnel, parfois sans pitié. Réussir loin de ses racines est une fierté pour l’ainé de la tribu : " Nos gamins à Jean-Jacques et moi sont en bleu ou en Top 14, on en est fier. J’ai 8 petits enfants actuellement, ils joueront tous au rugby, c'est sur ! " dit-il en rigolant.
Et Romain, à 20 000 km de là, approuve les propos de son père : " Quand on était gamins on était un peu loin de tout ça et c’est vrai qu’avec le parcours de nos parents, on avait envie Sébastien et moi, de réaliser la même chose, le rêve était un peu loin à l’époque. Mais les choses se sont faites naturellement. "
Ce maillot bleu c’est une grande fierté, je suis très fier de le porter et de représenter le pays. Partager ça avec les autres gars du Caillou une nouvelle fois ce sera énorme. On est des exemples pour eux.
" Je me rends compte que je reçois beaucoup de messages sur les réseaux sociaux venant de la Calédonie, des amis ou des petits cousins, il faut pour eux qu’on soit exemplaires sur le terrain. Il y a toujours eu un potentiel dans nos iles, je ne suis pas surpris, mais si papa m'appelle pour lui donner un coup de main pour l’Académie j’irai, c’est clair ! Mais je me fixe encore 6 saisons, je ne suis pas si vieux. "
Ah la famille Tao…
Romain a deux enfants, Sébastien aussi. Les frangins vont-ils faire perdurer la tradition rugbystique des Tao ?
" Mon fils Noé 7 ans joue au RCT, il est petit encore mais je l’ai laissé faire selon son envie. Il y est venu naturellement. Sa petit sœur Téa a essayé mais ça ne lui plait pas. Elle n’a que 5 ans…, je ne vais pas la forcer. En tant que papa j’aimerais que mon gamin suive le truc. Mais tant qu’il est heureux dans ce qu’il fait moi ça me va, s’il prend du plaisir dans le rugby tant mieux. "
La lignée Taofifenua continuera à donner des Tao performants, le dernier en date est Donovan, cousin germain de Romain et Sébastien, le fils de Jean-Jacques, le frère de Willy. Mais il n’est pas dans le groupe des 31 alors qu’il avait été présélectionné dans le groupe des 37 pour l'Italie. Ce n’est que partie remise pour le joueur du Racing 92.
La famille Tao est une lignée incroyable, une source inépuisable qui n’est sans doute pas tarie. Son premier fait d’armes date du siècle dernier, le quart de finale du top 16 en 1999. Willy et Jean-Jaques échouaient aux portes du stade de France face à Montferrand, avec trois autres frères d’armes de Nouvelle Calédonie, Laurent Pakihivatau, Lionel Vaitanaki et Abraham Tolofua.
" Sele (Selevasio Tolofua, cousin des Tao) Donovan et moi sur le terrain ça serait beau mais ce n’est pas pour ce premier match. Il y aura quand même Peato (Mauvaka, formé à l'URC Dumbéa). On va d’abord penser à battre les Italiens, avant de penser à réunir la famille, " conclu Romain, impatient d’en découdre samedi à Rome.
Les Frangins Tao en mode décontractés