On a mis en place un circuit dédié. On a organisé une structure avec des soignants volontaires et une mutualisation des protections.
- Gwenaël Roth
Au départ le docteur Jean-Louis Unal est l’instigateur de cela. Tout le monde s’est mis autour de la table, la mairie a tout de suite apporté son aide avec du matériel, tentes et mobilier et le stade Marville a été réquisitionné. Le centre est installé sous les tribunes et dans le gymnase sur la piste indoor du 60 mètres. "On utilise les vestiaires comme salle de consultation. Puis le patient est pris en charge par un duo médecin-infirmier. L’hôpital Broussais nous a accompagnés en nous déchargeant des cadres hospitaliers, dont un infirmier spécialisé en médecine de catastrophe. La clinique de la côte d’Emeraude nous a aussi prêté du matériel."
Toutes les forces vives médicales et paramédicales, ont joué le jeu : médecins libéraux, infirmiers, paramédicaux de tous horizons y compris les secouristes de la Société Nationale de Sauvetage en Mer et la Croix Rouge. Ca n’a pas été très compliqué dans une ville habituée à faire le dos rond face aux grandes marées et aux tempêtes.
Il n’y a eu aucun frein, les instances nous ont suivis, mais elles étaient débordées. Donc on s’est organisé un peu comme des corsaires parce qu’on a compris que la situation était exceptionnelle.
Filtrer les patients pour ne pas obstruer les urgences
Le circuit créé est simple : le patient appelle son généraliste pour une téléconsultation : s’il y a une suspicion de Covid sans gravité et qu’il peut rester à la maison, il le fait. S’il faut faire un examen clinique simple, à la limite de l’hospitalisation, il vient d’abord au centre de consultation Covid-19. Enfin si le médecin pense qu’il est atteint durement, il est aussitôt envoyé à l’hôpital.Pour ces patients Covid - éventuellement contagieux - des voitures très bien équipées et protégées sont à disposition des infirmiers volontaires. "Comme on a un manque cruel de matériel, l’idée est d’avoir des équipes très protégées."
Autre nouveauté, une fois le patient examiné, il est intégré dans un système de suivi sur internet : "On a créé une nouvelle cellule de médecins volontaires, pour avoir un suivi quotidien permanent de tous les nouveaux patients venus au centre de consultation Covid, ou vus ou pris en charge sur le territoire de santé. Matin et soir, ils s’autoévaluent sur un questionnaire, rentrent leurs données et on les surveille en ligne, comme sur la plage avec des drapeaux verts, orange ou rouges sur les écrans. On peut en fonction de l'alerte les contacter par téléphone et agir s'il le faut."
Ce centre fonctionne comme une filière pour un patient qui est en ville. C’est un filtre pour préserver le service de réanimation et les urgences, qui ont toujours à faire avec des pathologies graves. Saint-Malo dispose à présent de vingt lits de réanimation et une centaine de lits d’unité Covid de soins avec oxygène potentiel pour des malades. "On se relaie en fonction de nos gardes, on a 200 infirmiers libéraux volontaires et 50 médecins libéraux volontaires, ça couvre une grosse population, environ 150.000 habitants mais géographiquement ça se fait."
Redonner un sens à la médecine de ville
Autre constat effectué par le Dr Roth, les cabinets de ville se sont vidés. Les patients ont peur de croiser un patient Covid ou de déranger le praticien et ne viennent plus consulter.On est inquiets. J’ai eu l’autre jour un cas d’appendicite qui a été pris en charge assez rapidement. Mais ça faisait 48 heures que la dame avait mal au ventre et elle ne voulait pas me déranger ni risquer d’être contaminée par un patient. Elle est finalement venue au cabinet, j’ai pu la diagnostiquer et elle n’a pas attrapée le Covid, que je sache…
L’intérêt de tout cela est de continuer à soigner les gens. Des études montrent qu’en cas d’épidémie tout le reste est oublié. Il faut donc mettre une filière pour la médecine du commun, la médecine habituelle : "C’est important en terme de Santé Publique, à notre sens. Les cabinets recommencent à avoir une vraie activité et on se rend compte que les gens ont moins peur." Dans ce cas-là la médecine de ville a un rôle réel à jouer. Si les hôpitaux font un travail énorme, les médecins de ville comme Gwenaël Roth agissent pour la prévention, l’accompagnement et l’explication. "Si on arrive à gérer les cas de Covid pas trop graves en ville sans hospitalisation, les hôpitaux peuvent gérer les patients lourds. C’est une des clefs du problème."
Un vrai esprit d’équipe
Selon Gwenaël Roth, il y aura un avant et un après. "C’est important pour notre région. Un peu comme en sport, on a créé une équipe, car on a souvent dans nos métiers des gens qui travaillent de façon individuelle."
On a recréé une solidarité et une vraie collégialité entre soignants du territoire, et pour nous c’est aussi une thérapie.
Dès que l’on parle équipe, Gwenaël replace le mot sport dans la discussion et redevient le médecin de marins. La crise aura une énorme incidence sur la voile et les programmes à venir. Actuellement, il s’occupe d’une dizaine de marins de course au large, même s’il a mis cette activité un peu entre parenthèses pour le moment. Mais le Guadeloupéen qu’il est et le Malouin qu’il est devenu pense forcément Route du Rhum. "Je ne sais pas encore si je vais y aller en 2022. C’est un tel engagement personnel et familial. Comme tous les Guadeloupéens, je suis tenté. J’ai fini en 2ème position la Transquadra 2018 en double avec François-René Carluer, un autre marin Malouin." Plus jeune, il a aussi été champion du monde de Hobie Cat 16 en 1997 en Espagne. Dès qu’il peut, il sort en mer.
La Guadeloupe peut s’en sortir
Gwenaël Roth a vécu à Deshaies toute son enfance, il y est arrivé à l’âge de 3 mois et est rentré en France pour sa première année de médecine. Ses parents vivent toujours en Guadeloupe. "Je leur ai demandé de rester dans leur maison. Ils ont 70 ans, pour eux le pronostic n’est pas du tout le même que pour des gens de 35 ans mais il faut savoir que ce sont ces derniers qui baladent la maladie. Il faut faire très attention et être solidaire."
Ce qui est intéressant sur une île, c’est le confinement. A partir du moment où il n’y a plus d’entrées et de sorties, c’est rassurant. Mais ne pas se confiner c’est être complice du malheur de certains et encore plus sur une île.
En Guadeloupe les choses s’organisent bien, c’est le ressenti de Gwenaël : "Pour avoir été interne là-bas, il y a quelques années en réanimation, je suis assez confiant. Il y a des forces vives incroyables et des soignants de qualité, comme le docteur Portecop, chef du service des urgences du CHU de Pointe à Pitre. Ou encore Mehdi Keita de l'EFS (Etablissement français du sang) à qui j'ai transmis les documents avec lesquels on a travaillé avec l'ARS de Bretagne (Agence régionale de santé)".
La seule problématique à ses yeux est l’insularité pour l’acheminement du matériel. Mais si les gens sont confinés, l’épidémie peut être contrôlée. Les dernières mesures prises le confortent dans son analyse : "Avec le couvre-feu, les gens doivent se rendre compte de la gravité des choses, et principalement pour les gens fragiles."
L’avenir, les masques et les tests
En ce moment, la polémique enfle sur les masques, "assez, pas assez". L’OMS vient de déclarer que les masques seuls ne sont pas une solution miracle. Mais l’Académie de médecine a recommandé qu’on développe la fabrication de des masques alternatifs non-médicaux. "C’est une vraie solution de guerre, mais c’est une solution. Aujourd’hui les gens peuvent polémiquer autant qu’ils veulent sur le fait qu’on n’ait pas anticipé. Nous, notre choix de médecins ce n’est pas d’être dans la polémique mais de trouver des solutions, en attendant les masques et ça en fait partie." Et à Saint-Malo, les idées fusent pour partir à l'abordage du virus.
Ici avec les voileries, on est en train de travailler sur un masque en dacron ou en toile de voiles de bateau, très étanches mais confortables.
A Saint-Malo, la femme de Gwenaël est pharmacien biologiste, elle travaille avec son équipe et le Dr Lemonnier, sur un test de sérologie. Un test allemand qui devrait arriver très prochainement d’abord pour les soignants mais qui pourrait, s’il est concluant, se généraliser.
Dans ce contexte général de crise, Gwenaël illustre de belle manière le rôle d’un médecin de ville, trop souvent mis à l’écart ou à l’index par les Instances. "Moi, je suis un gars de terrain, j’applique des recettes validées scientifiquement car j’ai une vraie responsabilité vis-à-vis de gens que je soigne. On a juste un esprit libre et critique." Sur terre, comme sur mer, il gardera toujours le même cap : soigner et être au service des autres.