Près de 5 500 personnes ont été diagnostiquées séropositives en France en 2023, selon les dernières données publiées fin 2024. Parmi celles-ci, entre 415 et 450 se trouvaient dans un des départements ou régions d'Outre-mer au moment de leur diagnostic : 92 à Mayotte, 81 en Martinique ou encore 57 à La Réunion. Des chiffres qui sont toujours bien plus élevés que ceux de l'Hexagone, malgré une baisse récurrente depuis quelques années. Pour poursuivre les efforts sur le terrain, le Sidaction soutient 13 associations en Outre-mer en 2025. Objectif affiché : "renforcer l'offre de dépistage, favoriser l’accès aux soins et soutenir les personnes dans leur parcours de santé".
Des contaminations toujours très élevées
"Au niveau régional, l’épidémie à VIH reste marquée par une situation particulièrement préoccupante en Guyane, et dans une moindre mesure à Mayotte, aux Antilles et en Ile-de-France", note Santé publique France dans son dernier bilan datant de 2024, sur les chiffres de 2023. Des taux très élevés qui sont parfois difficiles à calculer. En Guyane par exemple, le système de déclaration des cas positifs n'est pas toujours efficace et rend les résultats non exhaustifs. Les données officielles publiées par Santé publique France sont donc sûrement sous-estimées.
"On considère qu’environ 1 % de la population vit avec le virus. Comme il y a eu des grosses améliorations de prises en charge, les personnes vivent plus longtemps. Il y a moins de nouveaux cas", explique Sophie Devos, médecin épidémiologiste à la cellule régionale de Guyane de Santé publique France.
Après la Guyane, Mayotte et les Antilles, connaissent aussi une situation épidémique tendue. "En ce qui concerne les découvertes de séropositivité, on a vu qu’en 2023, on a un taux important, mais quand même en baisse", juge Youssouf Hassani, responsable de la cellule régionale de Mayotte de Santé publique France. Mayotte affiche un taux de 296 découvertes de séropositivité par million d'habitants en 2023. "On était à 338 en 2022", insiste Youssouf Hassani. Ces données artificiellement rapportées au million d'habitants permettent de comparer les régions entre elles, et donc de mettre en lumière les priorités dans la lutte anti-VIH. En plus des territoires d'Outre-mer, tous fortement concernés, sauf la Réunion, l'Île-de-France fait l'objet d'une surveillance particulière des autorités sanitaires au sujet du VIH.
Un dépistage important et efficace
"Le dépistage reste l’un des enjeux majeurs de la lutte contre l’épidémie" insiste le bilan de Santé publique France. Mais si les territoires ultramarins sont les plus touchés par l'épidémie, ce sont aussi ceux qui dépistent le plus. "Les niveaux de dépistage les plus élevés sont observés en Guyane, Guadeloupe, Martinique et à La Réunion", précise le bilan épidémiologique paru fin 2024.
Depuis plusieurs années, les hôpitaux et associations locales sont parvenus à mettre en place des dispositifs de dépistage et de prise en charge très efficaces dans les DROM, départements et régions d'Outre-mer. "C'est bien organisé, il y a un gros maillage territorial", juge par exemple Sophie Devos, pour la Guyane. "Il y a eu le déploiement de l’accès aux laboratoires sans ordonnance qui a aussi amélioré le dépistage." Depuis le 1er septembre 2024 en effet, tout le monde peut se faire dépister des IST et du VIH sans ordonnance et sans rendez-vous dans les laboratoires d'analyses médicales partenaires, sans avance de frais pour les moins de 26 ans.
À Mayotte aussi, le dépistage est en nette progression, en grande partie grâce aux associations de terrain. "En plus de l’offre de dépistage dans les deux laboratoires du territoire, il y a quand même une offre importante du côté des associations, notamment l’association Nariké M’Sada", précise Youssouf Hassani. Avec leur caravane itinérante, les membres de cette association, formés aux dépistages rapides, sillonnent les routes du territoire mahorais, en quête de personnes isolées.
"Les tendances sont à la baisse. Pour autant, on a quand même des chiffres importants, veut noter Youssouf Hassani. Par exemple, le nombre de sérologies positives pour 1 000 sérologies réalisées, qui est de 3,2, c’est tout de même 3 fois plus que ce qui a été observé dans l’Hexagone, hors Île-de-France".
Une baisse constante des cas depuis 10 ans
Malgré la situation épidémique encore tendue Outre-mer, les campagnes de dépistage massives et la prévention portent leurs fruits. Sur la période 2012-2023, "le nombre de découvertes de séropositivité a diminué de 10 % au niveau national" note le dernier bilan de Santé publique France.
Une bascule qui s'est surtout opérée depuis 2015, avec une meilleure prise en charge des personnes séropositives et donc une meilleure gestion de la contagion du virus. "À partir de 2015, il a été dit que dès qu’on trouve un cas, on le met sous traitement, raconte Sophie Devos, médecin épidémiologiste en Guyane. Ça a permis de vraiment faire baisser le poids de l’épidémie un peu partout dans le monde. En Guyane, on a la chance d’avoir accès à ces antirétroviraux, tout le monde y a accès gratuitement". Ce médicament permet de bloquer la multiplication du virus dans le corps, et donc de gérer son développement et l'attaque des défenses immunitaires des personnes atteintes du VIH. On parle de trithérapie quand le médecin prescrit une série de plusieurs antirétroviraux, souvent trois, pour lutter au mieux contre le virus.
La pauvreté, facteur aggravant ?
Comment expliquer que l'épidémie, en partie enrayée dans l'Hexagone, soit encore si vivante dans les DROM ? Une réponse pourrait tenir dans la persistance de clichés à propos du VIH et de sa transmission. Le sida a longtemps été considéré comme une maladie liée à des pratiques homosexuelles. Les chiffres de contaminations en Outre-mer montrent pourtant tout le contraire. "En Guyane, c'est beaucoup des contaminations hétérosexuelles liées au fait que les gens ont beaucoup de partenaires différents, explique Sophie Devos en soulignant donc l'importance du dépistage pour tous, quelle que soit son orientation sexuelle.
Autre explication, la précarité multidimensionnelle qui favorise un climat plus propice aux contaminations et à la propagation des épidémies. "Il y a beaucoup de sexe transactionnel, et c’est aussi lié aux consommations de drogue. Dans un contexte toujours beaucoup lié à la pauvreté", précise Sophie Devos pour la Guyane. Un constat validé par Frédérique Viaud, responsable Outre-mer pour le Sidaction. "La précarité, elle n’est pas que financière, c’est tout ce qui va avec, relate la responsable associative. Quand on n’a pas les moyens c’est compliqué d’avoir accès à l’école. On a donc une précarité éducative, financière et aussi sociale. Quand on a des difficultés comme ça, l’attention à la santé est secondaire !" Pour Frédérix Viaud, la précarité favorise nettement la contamination au virus. C'est donc par la prévention et l'information qu'une grande partie de l'épidémie pourra être contenue.
Garder le rythme sur la prévention
Le président du COREVIH, centre de coordination des actions anti-VIH en Guyane, Mathieu Nacher prévient : "Il ne faut pas baisser la garde". La prévention et le dépistage restent les enjeux principaux de la lutte anti-VIH. D'autant que Santé publique France estime à environ 10 000 personnes le nombre de séropositifs non diagnostiqués, et donc pas suivi médicalement, dans le pays. "Il persiste quand même un réservoir que le COREVIH estime à environ 200 personnes non diagnostiquées sur le territoire qu’il faut qu’on arrive à atteindre pour vraiment contrôler l’épidémie" précise Sophie Devos concernant la Guyane. Sur le territoire guyanais, ce sont les jeunes hommes de 15 à 24 ans, résidant essentiellement à l'Ouest du département qui sont les plus à risques, car les moins dépistés.
Autre point d'amélioration dans la lutte anti-VIH dans les DROM, la gestion du personnel médical. Frédérique Viaud parle d'un important "turnover" dans les postes encadrants en Outre-mer, ce qui fragilise la mise en place de processus efficaces et la circulation d'information. Pour endiguer ce problème, le Sidaction a lancé en 2022, le RésOM, un réseau de professionnels dans chaque territoire, liés les uns avec les autres pour construire une réponse globale à l'épidémie.