Téhem : "Edmond Albius a fini sa vie de façon très misérable alors que c’est quelqu’un d’essentiel dans l’histoire de La Réunion" #MaParole

Il s’apprête à sortir à la rentrée un nouvel album consacré à l’histoire de La Réunion à travers la figure d’Edmond Albius, esclave et découvreur du procédé de pollinisation de la vanille. Le dessinateur Téhem nous a accueillis dans son antre à Mazé pour le dernier numéro de #MaParole de la saison.

Cécile Baquey • Publié le 27 juin 2023 à 08h59, mis à jour le 27 juin 2023 à 09h56

À Mazé, près d'Angers, il fait 33° en ce jour de juin. À cette époque de l’année, cette température est anormale. Malgré la chaleur qui s'annonce, l’atelier BD de Téhem semble bien tranquille. Trois stagiaires dessinent paisiblement sur leurs tablettes. Thierry Maunier, alias Téhem, auteur et dessinateur de BD bien connu à La Réunion pour avoir donné vie à Tiburce, nous accueille dans l’atelier Kawa qu’il a créé en 2007.

1Tiburce

Téhem est né en région parisienne de parents réunionnais. Tous les deux travaillent à La Poste. Ils décident de revenir à La Réunion quand Téhem a 5 ans. Le garçon grandit à Saint-Denis et passe de nombreux week-ends et vacances aux Avirons, près de Saint-Pierre. Avec ses cousins, il aime faire des courses de pneu avec un bâton.

Dès l’âge de neuf ans, Téhem ne veut lire que des bandes dessinées. Il comprend très vite que c’est ce qu’il souhaite faire dans la vie : dessiner et raconter des histoires. À cette époque, il y a très peu de bandes dessinées à La Réunion, très peu de librairies aussi. Téhem achète le journal de Spirou et le dévore. Un jour, chez un ami, il découvre un album des Rubriques à brac de Marcel Gotlib. Il est tout simplement bluffé par tant de liberté.

En manque de BD, il décide d’écrire et de dessiner lui-même ses propres histoires de chevaliers ou d’espions. Sa famille l’encourage. Quand il a 15 ans, ses parents se séparent. Il part à regret avec sa mère pour Valence. Il s’éloigne de tous ses amis et compense la solitude par une boulimie de dessin. En 1986, grâce au Journal de l’île de La Réunion que reçoit sa mère, il apprend la création du Cri du margouillat dans l'île, un journal entièrement consacré à la BD. Il enrage et se dit qu’il aimerait tellement se trouver là-bas. Alors, il décide de dessiner des strips, des petites histoires en trois vignettes pour parler de sa Réunion. Il invente le personnage de Tiburce, gamin des hauts à tache de rousseur qui fait pas mal de bêtises. Il envoie ses dessins au Cri du margouillat et bingo, le journal publie. En parallèle, il dessine des strips pour un journal local de la Drôme sur l’actualité. "Une très bonne école", selon lui.

L'équipe du Cri du margouillat dessinée par Téhem

2Zap Collège

Après le baccalauréat, Téhem étudie les arts plastiques à la faculté d’Aix-en-Provence. Il passe le CAPES sans grande conviction pour devenir professeur et commence à exercer le métier dans des zones sensibles en Normandie puis à Marseille. Une bonne source d’inspiration pour ses futures séries d’albums, Malika secouss et Zap collège.

En 2000, retour à La Réunion. Téhem devient professeur au collège de Bras Panon, baptisé par la suite du nom d’Edmond Albius. Pendant cinq ans, il tente de donner le goût du dessin à ses élèves. Il demande à sa direction d’organiser un atelier BD le samedi pour les collégiens intéressés. Refus de l’administration. Un peu vexé, Téhem se dit qu’il est temps de tourner la page. Il quitte son métier d’enseignant pour se consacrer entièrement à la BD et décide aussi de repartir dans l’Hexagone.

3Chroniques du léopard

En 2003, il remporte un alph’art au festival international de la BD d’Angoulême pour son album jeunesse Zap collège. Une consécration. À Angers, il a trouvé un atelier BD dans lequel il se sent bien au départ. Mais, lassé par le côté amateur, il décide de poser ses valises à Mazé, un petit village situé à proximité. La commune a connu son heure de gloire avec le tournage d’un long métrage adapté de la bande dessinée Les petits ruisseaux de Pascal Rabaté. Avec sa volonté de lancer un atelier BD, Téhem est accueilli comme le messie par la municipalité. Après le Cri du margouillat, la revue Tchô avec Zep, il se trouve une nouvelle famille avec l’atelier Kawa de Mazé. Le dessinateur se sent bien dans cet univers. "La bande dessinée, c'est un milieu où tout le monde est gentil, à quelques rares exceptions", estime Téhem.

De Mazé, Téhem garde le contact avec La Réunion. Il s’y rend régulièrement pour des festivals et il continue à dessiner et écrire sur l’île. En 2018, il signe avec Appollo un très bel album intitulé Chroniques du léopard dans lequel ils retracent l’histoire de deux personnages, Turpin et Hoareau, internes au lycée Leconte de Lisle pendant la Seconde Guerre mondiale. Une histoire d’amitié émaillée de rencontres insolites. Hoareau et Turpin fréquentent les frères Vergès scolarisés au lycée à cette époque-là, tout comme Raymond Barre, futur Premier ministre de la France. Pour Téhem, la BD se prête bien à faire connaître des épisodes de l’histoire méconnue de son île.

En 2020, rebelote, Téhem s’attaque au douloureux épisode des enfants réunionnais dits de la Creuse. De 1963 à 1984, plus de 2000 enfants réunionnais ont été envoyés dans l’Hexagone pour repeupler les zones rurales sans que le consentement des familles soit bien clair. Beaucoup d’ex-mineurs ont témoigné ces vingt dernières années pour dire à quel point ils avaient souffert de cet exil. Dans son album, Piments Zoizos, Téhem retrace de façon émouvante le parcours de Jean Désiré à la recherche de sa sœur Madeleine et de son histoire

Ces derniers mois, l’auteur a planché sur son prochain album intitulé 20 décembre qui doit sortir en septembre 2023 chez Dargaud. Sur un scénario signé Appollo, son complice des Chroniques du léopard, il dessine le parcours d’Edmond Albius, qui a découvert le procédé de la pollinisation de la vanille alors qu’il était esclave et n’avait que 12 ans. Et, pourtant, "Edmond Albius a fini sa vie de façon très misérable alors que c’est quelqu’un d’essentiel dans l’histoire de La Réunion", insiste Téhem.